« Il n’y a pas beaucoup de mots convenables à mettre sur les beautés. On n’en met que sur son sentiment ; c’est faible. »
Anne-Marie Garat
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“Réduite par la faim à presque rien, à sa racine, ses nerfs, ses fibres, ses tendons”, celle qui n’a pas de nom fuit vers le nord. Issue de la fange, on la nomme Lamentations Meretrix dans l’asile de pauvres qui la recueille. Chez la maîtresse qui l’adopte, elle devient “la Fille, la Souillon, la Bouffonne, l’Enfant, Zed”. La vie est précaire, brutale, et courte, pour ceux qui tentent leur chance en risquant la traversée vers le nouveau monde. Jouet entre les mains de celles et ceux qui l’exploitent, la jeune servante apprend, trouve le courage de fuir la domination, la maladie, la famine, la violence, dans cette Virginie du 17ème siècle. Traversant ce pays qui ne s’appelle pas encore les Etats-Unis, elle marche sans répit, avec pour seuls compagnons quelques outils précieux et ses souvenirs, rarement heureux, comme ceux partagés avec l’enfançonne Bess « son jouet sa sœur sa fille ». Farouche, traquée, elle reste loin des hommes dont elle se méfie, comme se méfient d’elle les powhatans et piscataways (peuples amérindiens autochtones) qui restent à distance pour protéger leur propre existence. La nature ne lui donne qu’à peine de quoi survivre et, parfois, un abri sommaire. Pourtant elle est émerveillée, émue souvent par la beauté du vivant et même des éléments qui la mettent en danger. La jeune fille ne compte que sur son corps, soumis à rude épreuve, et dont le lecteur vit toutes les douleurs, exposées parfois crûment au fil des pages. Sans relâche, elle fuit les menaces dans ce qui devient comme un chemin de croix tragique. On tremble et on souffre avec ce magnifique personnage, dans un roman terrible et fascinant, à l’écriture vibrante, émaillée de mots oubliés et poétiques, que nous offrent l’autrice et sa traductrice, au talent remarquable.
Christine J.
« Nommer, elle le comprit, rendait les choses plus visibles… Nommer toutes ces choses était galvanisant ; c’était une sorte de puissance. Elle s’enivra de ce pouvoir, et sans vergogne baptisa tout ce qu’elle voyait. »
« C’était ainsi qu’en arrivant en ces contrées, ses compatriotes anglais crurent nommer les choses et les gens pour la première fois, et qu’ils se les approprièrent, bien que, et cette pensée la surprit, les habitants des lieux eussent déjà nommé toutes ces choses auparavant. Mais un nom chassait l’autre, ainsi tournait la roue de la puissance. »
« Car à quelques pouces en deçà de ce visage, dans les souffrances les plus profondes de son corps, le monde continuait de tourner avec une magnifique beauté, se renouvelant dans une parfaite indifférence. »
Fiche #3311
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Carine Chichereau