« Décéder fait partie de ces moments intimes qui supportent assez mal les témoins importuns. »
Marie-Sabine Roger
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Sur cette colline haïtienne (personnage à part entière du roman), les hommes cupides se sont installés : « Ils étaient libres, les premiers corps qui sont montés au sommet de la colline. Et puis sont venus les chasseurs, les arpenteurs, les notaires, les banquiers, la loi, le pouvoir, l’ordre, la bienséance, la torture, le viol, les conventions… » Un espace abîmé, violenté, comme ses premiers habitantes et habitants puis les suivants. Des hommes prêts à tout pour arriver à leurs fins, pour se partager ce qu’ils ont décidé : deux mondes qui se font face. L’un est prêt à détruire, mutiler, violenter pour sa réussite et l’autre doit lutter et résister face à cette folie destructrice. Chaque femme prend la parole pour s’exprimer sur cette colline et sur leurs vies. L’une d’elles, la veilleuse met sa sagesse en branle pour garder en mémoire le passé et son histoire pour arriver à survivre et espérer vivre autrement. Mais elle observe la dérive de ces hommes sans limite, la critique et la juge vertement. Douleurs, cris, mort, violence, oppression extrême des mâles dominants restent en permanence le quotidien des femmes. Avec un style vif, rythmé, en rupture, Lyonel Trouillot place au centre de son propos la souffrance des femmes et leur courage.
« L’homme est la seule espèce qui n’a pas besoin d’aide pour créer son malheur. »
Fiche #3064
Thème(s) : Littérature étrangère
Pedro aimait les mots, les mots des autres, la poésie. Il aimait les partager, les faire voler, passer. Il était joyeux, fou, sans limite. Il regardait chaque personne, chacun trouvait sa place à ses côtés, il prenait les devants. Mais il est mort, il s’est envolé et l’un de ses deux amis écrit une longue lettre d’amour. Dans cet hommage, il revient sur son parcours au cœur d’Haïti où la vie est si trépidante, ardue, exubérante, violente et si terriblement humaine. Pourquoi la poésie ne l’a-t-il pas sauvé ? Où se situe la rupture ? Toujours aussi vif et sensible !
« C’est toujours sur le dos des autres qu’on développe des amitiés. »
« La mort ne commence rien, à part ce sentiment de perte qui habite nos insomnies. »
« Nul n’échappe au pouvoir de la détestation. Il y a toujours quelqu’un pour détester quelqu’un. »
« Tu t’en foutais pas mal des genres, des conventions qui font les esclaves. »
« Quand on publie un texte de son vivant, je suppose que c’est comme une lettre de demande, un appel au secours. On s’imagine qu’un lecteur, une lectrice, répondra à l’appel. Mais des textes posthumes ne peuvent plus rien pour leur auteur. Ils renvoient les lecteurs à leur aveuglement, à tout ce qu’ils n’ont pas pu saisir. »
Fiche #1391
Thème(s) : Littérature étrangère
Anaïse et Thomas se partagent la narration de ce voyage qu’Anaïse qui vit en Europe effectue à Haïti. Elle vient sur les traces de son père mort quand elle était petite et Thomas jeune autochtone sera son guide particulièrement disert. Elle et sa mère ne connaissent que le nom d’un village et elle a décidé de s’y rendre. Son grand-père aidé de son complice « le Colonel » se sont comportés ici en despotes, en tyrans, elle ne saura rien des vraies raisons de leur mort, la solidarité et le silence l'emporteront. Sa remontée vers le passé justifie une série de portraits de personnages haut en couleur, des hommes et des femmes vivant de peu mais avec une lumière, une intensité peu communes. Anaïse cherche à comprendre, à savoir mais Thomas la prévient : « … c’est qu’ils souhaitent que tu comprennes que peu de choses méritent qu’on en saisisse les origines, les pourquoi et les conséquences. Qu’il est des faits sans importance qui ne valent pas de bavardage, et d’autres dont les causes sont d’une telle profondeur qu’elles échappent à toute analyse et qu’il convient pour être heureux de les laisser à leur mystère. », la vraie question n’est-elle pas plutôt « Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ? ». Pourtant Anaïse poursuivra son chemin sur les traces de son passé préférant peut-être d’abord se trouver, atteindre une forme de sérénité, puis donner un sens à sa vie. Un flamboyant conte philosophique coloré et odorant qui explore avec une écriture belle et riche le hasard des destinées et le rapport à l’autre.
« La mort demeure pour le vivant la plus banale des occurrences, la seule qui soit inévitable. La mort ne nous appartient pas, puisqu’elle nous précède. Mais la vie… »
Fiche #1009
Thème(s) : Littérature étrangère
Mathurin D. Saint-Fort est un jeune et brillant avocat installé à Port-au-Prince. Mathurin D. Saint-Fort a décidé d’oublier son passé et ses origines, l’initiale de son prénom le trahit pourtant pour certains. Il vient de la campagne haïtienne, a fait le grand voyage vers la grande ville et ne souhaite plus se retourner confirmant ainsi le morcellement de la société haïtienne. Il croit avoir réussi son intégration dans un monde bourgeois, aveugle face à la réalité. Jusqu’au jour où Charlie, jeune ado en cavale, fait irruption sur son lieu de travail et s’accroche à lui telle une sangsue. Charlie l’emporte, l’entraîne vers son passé mais aussi vers des milieux qu’il feignait d’ignorer. Quelques souvenirs bien enterrés resurgissent… Un monde violent, sans pitié, souvent désespéré où cependant des niches d’amour et d’amitié subsistent. Lyonel Trouillot toujours aussi efficace pour nous décrire le peuple d’Haïti fait appel à quatre personnages, quatre voies, quatre trajectoires dans le Haïti contemporain où la pauvreté biaise les destins de chacun et les entraîne souvent involontairement sur des voix pas toujours choisis alors que la classe dominante continue elle de s’enrichir sans état d’âme particulier.
Sélection Prix Page des Libraires 2009
Fiche #605
Thème(s) : Littérature française
Un vieil écrivain reconnu rencontre lors d’une conférence une jeune femme de vingt ans qu’il n’ose aborder. Il l’admire et l’observe mais trop vieux, il a perdu la langue d’amour, aussi il va lui parler (par écrit) d’autre chose, de sa famille de cœur. Comme un testament à toutes les femmes à toutes les femmes qu’il n’a pas aimées (« Et puis, parce que j’atteins la limite d’âge qui ne laisse plus à l’homme le loisir d’oublier ce qui lui tient à cœur. J’ai peu de temps. A peine ce qu’il faut pour tenter de s’accrocher à quelque chose ou à quelqu’un avant de s’en aller. Juste ce qu’il faut pour se souvenir, chasser la mauvaise part, et espérer à toute vitesse »). Il lui contera sa jeunesse entourée de trois figures, l’Historien, l’Etranger et Raoul. Ils vivaient tous les quatre à Port-au-Prince dans une pension (« La pension était notre monde et l’on n’y rentrait pas avec un patronyme ») et se rencontraient constamment pour de longues palabres sous l’arbre d’une cour. L’Ecrivain traquait la nuit les femmes absentes de sa vie dans ses poésies mais sa vraie vie était sous l’arbre avec ces rencontres. L’Etranger bien que maniaque les faisait rêver, toujours en attente d’un départ repoussé faute d’un passeport en règle, les comptes-rendus de ses voyages (« Chaque phrase était un long voyage… ») et de ses rencontres féminines éclairaient le quotidien de ses trois amis. L’Historien vivait dans un milieu bourgeois, notable installé, il profitait d’une belle carrière, de sa femme et de sa fille jusqu'au jour où il abandonna tout. Personne n’en connaît les raisons. Raoul maintenant en retraite installait des conduites d’eau et continue de rendre hommage à ces travailleurs de force au-delà de leur mort. Mais quel lien unit donc ces hommes ? Malgré ses longues et interminables discussions, chaque personnage ("les Ainés", l’écrivain est le plus jeune) a son secret, chaque vie est un roman et l’écrivain ne les découvrira que plus tard à l’approche de leur mort et les révèlera par son écriture. Des personnages d’une admirable humanité, des histoires attachantes, une langue superbe et une poésie marquée font de ce roman une grande réussite.
« Oui, même écrire peut devenir un acte dangereux. Qui peut dire à l’avance quel côté de la rue habite le cœur de l’autre ? »
Fiche #292
Thème(s) : Littérature étrangère