« Les hommes sans cesse rêvent du zénith, disait encore Jag, et oublient le nadir. Pour être à l’équilibre, il faut avoir les deux, la tête dans la lumière, et les pieds ancrés dans le sol, parfois la boue ! Le vent dans les cheveux et les pieds sur terre, voilà ce qu’il faut pour être heureux ! »
Alain Mascaro

Les comptes-rendus-avis de lecture de la librairie Vaux Livres

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Anna Enquist

Anna ENQUIST

Démolition
Actes Sud

2 | 320 pages | 28-01-2024 | 22.8€

en stock

L’héroïne de ce roman est Alice Augustus, riche compositrice, quarante ans. Le récit s’ouvre sur une démolition qui la bouleverse : une petite fille saute à la corde sur un mur que l'on détruit. Cette vision l'ébranle, lui tire les larmes et lui rappelle son enfance, l'enfant qu'elle n'a pas eu et qu'elle aurait dû avoir et le chemin médical qu'elle suit actuellement pour devenir mère. Alors Alice va se dévoiler : son métier passion qu’elle a choisi contre sa famille, ses rencontres, l’apaisement qu’il lui a apporté face aux vicissitudes de la vie. Puis son intimité : son amie Svea également musicienne mais aussi mère, une amie sur laquelle elle pourra toujours compter, son mari qui travaille dans un grand cabinet d’affaires bien loin de la musique, un couple sans enfant alors qu’elle continue d’espérer devenir mère et ce manque, ce vide la ramène à son enfance. Elle ne cache rien, ses choix, ses questionnements, ses hésitations, à la fois dans sa vie professionnelle au cœur de la création et dans sa vie personnelle au cœur de la procréation. Elle endosse toute la responsabilité de ses échecs. La musique et la création (comme Haydn) la sauvent mais la douleur persiste (« Ce sentiment de détresse, elle le traîne à présent avec elle. ») et ni elle ni les doutes qu’elle engendre ne la quitteront jamais. Pourtant, jamais elle ne se résignera. Comme à chacun de ses romans, Anna Enquist offre une plongée dans l’âme humaine, au plus profond, mise à nu des sentiments, des doutes, des désirs, des contradictions, des questionnements, un texte maîtrisé, émouvant, dense et intense avec une écriture rythmée.

Ecouter la lecture de la première page de "Démolition"

Fiche #3135
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Emmanuelle Tardif


Anna ENQUIST

Contrepoint
Actes Sud

1 | 228 pages | 22-11-2010 | 20.3€

Contrepoint est le titre parfait pour ce nouveau livre de la grande romancière néerlandaise : technique de composition musicale consistant à superposer plusieurs lignes mélodiques ou thème secondaire qui se superpose au thème principal. Le texte est en effet un va-et-vient permanent entre la recherche par une femme d’une grande et personnelle interprétation des variations Goldberg et de ses souvenirs brefs de mère (« Elle s’était tournée vers son piano pour obtenir de l’aide). Le drame qu’elle a vécu lors de la disparition tragique de sa fille (« On ne se prépare pas à une tragédie, elle vous tombe dessus ») semblait l’avoir éloignée à jamais des moments même furtifs de bonheur. L’art et la musique, l’étude d’une œuvre, d’un compositeur lui permettent aussi bien de faire rejaillir des souvenirs enfouis par la douleur (« Bach lui avait donné accès à sa mémoire »), de les verbaliser quand cela devient possible, de les incorporer dans ses interprétations, dans ses silences, mais aussi de pratiquer une thérapie douce et sobre qui mène note après note à une reconstruction de soi. Pianiste et psychothérapeute, Anna Enquist nous livre une superbe partition éclairée par une interprétation émouvante et sans fausse note !

« Ce que la musique a de libérateur, c’est justement de permettre de renoncer aux mots déprimants, gênants, pour se mettre à penser en sons, en lignes, en accords. Rien n’avait besoin d’être formulé ou traduit. »

« Des pas hésitants espacés par un intervalle de secondes, qu’on ne pouvait pas jouer sans de dramatiques changements de rythmes. Chanceler, grimper, tomber, ce genre d’histoires. Pourquoi une mélodie qui monte puis descend provoque-t-elle tant de tristesse ? Est-ce qu’on était plus avancé quand on le savait ? Inspirer avec espoir, souffler avec déception. Monter la colline puis, fatalement la redescendre. Recevoir une chose puis devoir y renoncer. La vie, quoi. »

« … les gens ont inventé des religions parce que la notion d’être seul confronté à la réalité est trop douloureuse, l’idée qu’un être humain va disparaître sans laisser de trace trop insupportable, l’insignifiance de l’existence humaine trop vexante. »

Fiche #870
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Isabelle Rosselin