« Dieu, on connait ses limites, ça ne va jamais très loin, mais avec les hommes, c'est illimité, ils sont capables de tout. »
Romain Gary
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Un bébé déposé dans un village du désert, et Laurent Gaudé nous entraîne dans un conte reprenant une pièce de théâtre de 2003. De la tragédie au conte, encore un exercice parfaitement réussi ! Ce bébé à l’odeur de désert, même les hyènes n’en veulent pas, alors Mamambala le recueille et lui donne un nom, « Par le sel de ces larmes dont tu as couvert la terre, je t’appelle Salina ». Une vie de douleurs et d’exils attend le bébé venu de nulle part et c’est son dernier enfant qui se charge aujourd'hui du récit sans aucun jugement. Un mariage forcé, un amour interdit, des naissances, une adoption, mort et vengeance, la haine de l’autre, le poids des traditions traversent le destin de Salina à travers le drame d’un triple exil : trois enfants, trois exils. Laurent Gaudé nous offre un nouveau portrait d’une femme puissante mais condamnée, une vie volée que la vengeance ne pourra sauver. Toujours aussi brillant et maîtrisé !
« Je sais, moi, qu’une guerre ne s’achève vraiment que lorsque le vainqueur accepte de perdre. »
Fiche #2256
Thème(s) : Littérature française
Assem Graïeb appartient aux services secrets français. Il se rend sur les différents conflits et terrains d’affrontements d’aujourd’hui. La mort l’accompagne, la donner, la recevoir. Vaincre ou vaincu, défaite ou victoire mais toujours pour le pays qui l’a engagé évidemment. L’histoire du monde, l’histoire de l’homme. Au cours de ses missions, il croise Mariam une Irakienne amenée à surveiller les sites archéologiques, symboles de l’Histoire. Une rencontre furtive mais marquante. Le récit suit ensuite leurs aventures sur les routes du monde étayé par trois retours historiques, la guerre de Sécession, Hannibal et ses conquêtes, le parcours du Négus, un entremêlement constant des hommes, du temps, pour placer chacun devant son destin, ses victoires, ses défaites (mais qu’est-ce qu’une victoire, sa validité ne s’étiole-t-elle pas avec le temps jusqu’à un renversement possible), sa capacité à apprendre de l’histoire pour gérer le présent. Evidemment, il s’agit ici de Laurent Gaudé, donc c’est subtil, dense, réfléchi, construit, les perspectives historique et mythologique toujours proches, du grand art !
« … il sait, lui, que l’obscurité tombe, lorsque le dernier adversaire est battu, le pire commence, car c’est le moment où il faut bien accepter de retourner à ses propres tics et à ses tourments. »
« Les historiens ont écrit, encore et encore, sur chaque massacre, chaque génocide, chaque convulsion de l’Histoire. Plus jamais cela. Chaque génération a prononcé cette phrase. Est-ce que l’Histoire ne sert à rien ? »
Fiche #1824
Thème(s) : Littérature française
Dans ce roman polyphonique et épique qui enchaîne les scénettes en mêlant l’intime à l’Histoire, Laurent Gaudé décrit les derniers jours d’un colosse qui tremble et s’affaisse. A Babylone, un mal inconnu ronge Alexandre. Alors que l’homme conserve son envie de vivre et de combattre intacte, le mal progresse irrémédiablement. Inquiétudes, craintes et compassion chez certains, premiers indices de la guerre de succession pour d’autres, l’empire doit survivre mais qui en prendra la tête... Convulsions d’un homme, convulsions de l’empire. Comme d’habitude, le style et l’écriture sont parfaits, la construction étudiée, Laurent Gaudé excelle dans la tragédie, les portraits, Alexandre, Driptéis complétés ici par le portrait d’un empire, sa naissance, son extension, son apogée puis son déclin.
Ecouter la lecture de la première page de "Pour seul cortège"Fiche #1191
Thème(s) : Littérature française
Laurent Gaudé a vraiment l’art de prendre le lecteur par la main, page après page, pour lui faire découvrir à chaque roman des chemins différents, des rencontres singulières affrontant lors de chaque épopée des problématiques à la fois contemporaines et intemporelles, particulières et universelles. La tempête s’annonce et la Nouvelle-Orléans (« la tombe humide ») se vide, l’évacuation s’accélère. Pourtant quelques-uns demeurent dans la ville, irréductibles, laissés pour compte, prisonniers… attendent le déchaînement de la nature et ses effets. Le récit suit alternativement le parcours d’une série de personnages et leurs réactions au sein du chaos, personnages amenés à se croiser un jour ou l’autre pour le meilleur et pour le pire... Le rythme de la narration adopte la vitesse de la tempête. Keanu revient de l’enfer et souhaite retrouver Rose son ancien amour comme une ultime chance. Rose est perdue avec son fils sans père dans cette ville entourée de ses terrifiants bayous. Josephine « négresse depuis presque cent ans », « mère de tous les nègres », fière, désespérée et entêtée, n’a rien oublié de son histoire et de celle de son pays, et garde la tête haute et le regard fixe devant les vieux blancs, sa liberté n’a pas de prix (« Alors ils sont venus comme ils viennent toujours dans ces cas-là, la main tendue d’un côté et les doigts pour se boucher le nez de l’autre… Ils ont tiré en l’air pour effrayer le nègre. Depuis toujours, ils aiment ça. Je ne monterai pas. Je suis Josephine Linc. Steelson, je prends le bus tous les matins pour que les vieux Blancs baissent les yeux devant ma liberté. Je ne veux pas monter comme ça, comme une bête apeurée que l’on sauve par charité. Alors je reste assise. »). Cette chorale disparate continue d’avancer au milieu de l’apocalypse, chacun conservant aussi longtemps que possible un brin d’espoir, un projet pour le maintenir à flot. Des personnages vrais, humains avant tout, forts ou faibles, torturés, lucides, fraternels ou haineux... qui vous entraîneront dans leurs pas souvent hésitants.
Fiche #809
Thème(s) : Littérature française
Matteo et Giuliana et leurs fils Pippo vivent à Naples une vie heureuse. Il est chauffeur de taxi et elle travaille au Grand Hôtel Santa Lucia. Pourtant, un matin, leur vie bascule définitivement et tragiquement. Matteo en emmenant Pippo à l’école se retrouve par hasard au beau milieu d’une fusillade opposant deux clans de la Camorra et Pippo est touché par une balle perdue et meurt. Ils ne s’en remettront pas, ni l’un ni l’autre, ni le couple puisque Giuliana devant l’incapacité de Matteo de se faire vengeance et de ramener Pippo fera ses valises. Matteo continue de parcourir la ville avec son taxi sans prendre de client jusqu’au jour où une cliente étrange en force la porte. Il fait alors la rencontre de Grace une prostituée travestie, de Garibaldo le patron du café où ils se retrouvent, de Don Mazerotti un curé atypique, et du professeur Provolone masochiste. Quatuor détonnant ! Provolone redonne enfin un mince espoir à Matteo. Depuis 20 ans, il étudie les passages entre l’Au-Delà et notre monde et assure connaître l’entrée des Enfers. Chaque mort emporte un peu de nous et de notre vie que nous espérons toujours recouvrer, or la littérature et les textes anciens démontrent selon le professeur l’existence de portes permettant le passage d’un monde à l’autre. Et si Matteo (tel Orphée)pouvait finalement satisfaire la demande de sa femme et ramener Pippo à la maison ? A chaque roman, Laurent Gaudé nous emporte avec bonheur et réussite dans un nouvel univers dans lequel le lecteur plonge sans hésitation ni retenue.
Fiche #444
Thème(s) : Littérature française
Pendant que certains nous exhortent à nous protéger de l'invasion des "barbares" et arranguent les foules pour faire monter la peur, Laurent Gaudé choisit de rendre hommage aux hommes qui partent et risquent tout dans l’espoir d’une vie meilleure et d'un Eldorado. Malgré l'actualité brûlante du sujet, il rend encore plus réels et pesants ces parcours semés d'embûches que seuls un espoir et une volonté indéfectibles permettent d'affronter.
A Catane, le commandant Piracci navigue depuis vingt ans au large des côtes italiennes et intercepte les embarcations des émigrants clandestins : "Ils nous disaient que nous étions là pour garder les portes de la citadelle. Vous êtes la muraille de l'Europe... C'est une guerre messieurs... Il faut tenir. Ils sont toujours plus nombreux et la forteresse Europe a besoin de vous... J'y ai cru, moi, reprit Piracci. Je ne parle pas de politique ou d'idéologie, non, mais j'y ai cru parce que pendant longtemps c'est ce que je ressentais lorsque j'étais en mer". Il sauve tout d'abord les émigrants qui ont eu la chance de rester en vie puis les condamne immédiatement à une nouvelle tentative en les remettant à la police des frontières : "Pour un instant encore, il était en train de sauver des vies. De soustraire des êtres à l'engloutissement. Pour un instant encore, il n'y avait que cela. Dès qu'ils auraient tous pris pied à bord, il allait devoir redevenir le commandant italien d'un navire d'interception". Il prend à coeur sa tâche, gardien de la Citadelle, mais plusieurs événements viendront ébranler peu à peu sa foi et remettront en cause toutes ces certitudes provoquant un départ vers d'autres cieux dans le sens inverse...
Dans le même temps, au Soudan, deux frères envisagent le dangereux voyage vers l'Eldorado européen. Rapidement séparés seul Soleiman partira et Laurent Gaudé nous fera accompagner son périple jusqu'en Espagne épaulé par le boiteux et expérimenté Boubekar parti depuis sept ans pour la même destination.
Ni théorie, ni prise de position radicale, seulement une histoire humaine racontée avec pudeur et ancrée dans la réalité qui vous fait souffrir auprès de ces hommes qui, au péril de leur vie, ont décidé de partir et de changer radicalement de vie.
"Je me suis trompé. Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays."
"Ils ont volé les miséreux que nous sommes. Même les plus pauvres ont encore quelque chose à donner aux charognards."
Fiche #114
Thème(s) : Littérature française