« Je hais les voyages et les explorateurs. »
Claude Lévi-Strauss
Vous appréciez nos comptes-rendus, vous souhaitez nous soutenir mais vous n'avez pas la chance d'habiter aux alentours de Vaux-le-Pénil, tout n'est pas perdu ! Vous pouvez commander l'ouvrage de votre choix sur le site LesLibraires et choisir Vaux Livres comme librairie indépendante. Nous nous ferons un plaisir de vous livrer au plus vite. Nous comptons sur vous. |
Fabienne Juhel est une spécialiste de Tristan Corbière, une thèse, commissaire d’une exposition, responsable du contenu d’un site officiel… Alors quelle jouissance certainement d'avoir pris en main son destin, décidé de ses rencontres, maîtrisé ses aventures et tenu son crayon. En effet, dans « La Mâle-mort entre les dents », Fabienne Juhel métamorphose Tristan Corbière en poète reporter de guerre et le charge de rendre compte d’une page noire de l’histoire, en pleine guerre de 1870, la France sacrifiera des milliers de Bretons, ses « Nègres blancs ». A Conlie, Tristan, homme malingre exempté de service militaire, bien loin de l’archétype du combattant, réussira à s’introduire, « Un trublion au milieu des troufions. », dans le camp auprès des Bretons venus s’engager pour combattre les Prussiens. Ils ne connaîtront que la boue, le froid, la maladie, la faim, des armes qui n’en sont pas, le mépris absolu des généraux... Mais la plume de Corbière, ses mots, sa poésie mais surtout ceux de Fabienne Juhel, sont là pour en rendre compte, rappeler la trahison de la République et pour que tous ces Bretons ne restent pas des « morts pour rire ». Ne reste plus au lecteur qu'à prolonger son aventure de lecture par la (re)découverte du poème de Tristan Corbière, « La pastorale de Conlie ».
Ecouter la lecture de la première page de "La Mâle-mort entre les dents"Fiche #2492
Thème(s) : Littérature française
Fabienne Juhel nous convie à une rencontre à l'écart d'une station balnéaire de la côte nord bretonne avec Jeanne Devidal (1908-2008) surnommée « la folle de Saint-Lunaire ». Elle mêle le récit de l’histoire de la vie de cette femme singulière avec un dialogue avec Jeanne. On apprend certains épisodes de sa vie, ses chavirements, Fabienne Juhel choisissant de laisser, à l’image du personnage, des zones d’ombre ; tout n’est pas dévoilé, un mystère continue de régner. Cette ancienne factrice vécut en marge, à côté du monde, dans sa maison, dans le vent, ouverte sur la mer avec ses animaux, ses Invisibles, son tilleul, son mirador : les deux intriguaient ou choquaient tout autant. Une maison digne du Facteur Cheval, de bric et de broc, réparée, recousue, collée, agrandie. Une forteresse, l’extérieur n’y rentrera pas et saura la rejeter sans retenue : « Tu aimes le silence et ils sont le bruit. Tu aimes la solitude et ils sont la masse, le nombre, comme pour les lapins. Tu préfères te tenir immobile sur la frange des nuages ; ils sont le mouvement. Alors, la femme se terre derrière les murs, mille-feuilles de parpaings, de briques, de cageots et de boîtes de conserve englués dans le ciment. Maison tanière. Forteresse. Bunker. Carapace. » Fabienne Juhel, aidée par son écriture toujours aussi maîtrisée, addictive et envoûtante, réussit à nous faire partager sa passion pour Jeanne Devidal. Comme dans ses précédents romans, on retrouve avec plaisir La Bretagne, les renards, l’eau, l’océan, le vent, la folie, et un nouveau portrait de femme brutalisée et chavirée par le monde qui lui-même ne semble pas avoir conscience de son propre chavirement.
"Vieillir te fait remonter l'enfance en bouche."
Fiche #2136
Thème(s) : Littérature française
Maria Salaün était une superbe petite fille. Une chevelure flamboyante, trop flamboyante peut-être, rouquine, elle est rejetée telle une sorcière dangereuse et à éviter, d’ailleurs ne serait-elle pas responsable de la mort en couche de sa mère ? Elevée par son père, elle travaille avec lui dans une auberge et c’est là, après avoir repoussé Antoine son ami d'enfance et sa demande en mariage, qu’elle rencontre un officier allemand et l’amour. Un amour plus fort que la guerre. Mais, dès la fin du conflit, Antoine et ses sbires reviennent la voir elle, la putain, pour lui faire payer cette « faute ». Assise sur la chaise n°14, sans baisser les yeux, vêtue de la robe de mousseline blanche de sa mère et pieds nus, telle une fée intouchable ou un ange inaccessible, elle accepte sans rien dire cette honteuse épreuve et reste de marbre pendant cette violente tonte sans laisser poindre le moindre sentiment (« C’était la tête nue d’un oiseau déplumé aux yeux fixes et graves. »). Elle est marquée à vie, n’oubliera jamais ce moment, y pensera à chaque instant, mais elle ne fera pas ce cadeau de le montrer aux personnes venues assister à cette condamnation. Tondue par son ami d’enfance devant une assistance (dont deux GI noirs) impassible. Elle dénombre six bourreaux qui participent de loin ou de près à cette ignominie. Mais la honte n’est pas de son côté, et elle saura le leur rappeler : « Montrer à tous que la honte n'était pas que de son côté. Que la honte n'était pas son souci, mais qu'elle deviendrait le leur, après. ». On retrouve avec grand plaisir le style précis et travaillé comme le talent de conteuse de Fabienne Juhel qui manipule toujours aussi parfaitement le(s) symbole(s) et magnifie invariablement la nature bretonne. Elle nous offre cette fois un superbe portrait d’une femme libre et volontaire qui saura dire non, et nous parle notamment de la folie de la guerre, du pardon et d’humiliation.
Ecouter la lecture de la première page de "La chaise numéro 14"Fiche #1610
Thème(s) : Littérature française
Les oubliés de la lande habitent « une terre si improbable que même la Mort ne s’aventurait pas jusque-là. », un village auquel aucun chemin ne mène, absent des cartes. Une trentaine d’âmes vivent une éternité de solitude, sans vieillissement, loin du monde qu’ils ont quitté pour moult raisons plus ou moins avouables. Une grande quiétude règne sur cette petite société dirigée par Jason le premier installé dans ce trou noir et encadrée par des règles précises. « L’éternité n’était pas plus supportable pour ces postulants à la vie éternelle que ne l’était l’idée de leur propre mort » et certains lorsqu’ils le décidaient, repartaient vers l’autre monde où la Mort les attendait sereinement. Pourtant, même ici, rien ne dure, éternité fragile… Lorsque Tom le seul enfant de la communauté découvre le corps d’un inconnu décédé aux portes du village, puis un premier animal mort de façon singulière et inexplicable, les évènements s’enchaînent et dérèglent vite ce quotidien si paisible, la Faucheuse aurait-elle rattrapé ces rescapés ? Fabienne Juhel et son écriture accomplie nous subjuguent avec une enquête palpitante et tendue que vous dévorerez, des portraits contrastés, attachants et inoubliables, et des thématiques (comme à son habitude) variées telles le temps, le sens de la vie, le Mal et la Mort (élément de la vie dans le monde celte). Un conte profond et fascinant, incontournable de cette rentrée.
« Il découvrait que raconter une histoire, c’était s’exposer d’abord à ne pas être cru, qu’"histoire" et "conte" étaient les cousins des mots "mensonge" et "affabulation". Et le conteur, une sorte d’illuminé, pour ne pas dire un fou. »
« Un héros ? Est-ce qu’on devient un héros en assumant sa condition de mortel ? »
Fiche #1172
Thème(s) : Littérature française
Antoine a quarante ans et dit n’avoir jamais réellement vu la mer. A la lecture d’une pancarte "Défense de déposer les ordures" sur une palissade d’un chantier qui pourrait paraître à certains anodine, très malade, il quitte tout, femme et enfants, entreprend le voyage de Saint-Malo aux Saintes-Maries-de-la-Mer. Mais naturellement, ce voyage n’a rien d’un voyage touristique classique. Ce voyage libératoire est aussi un retour sur son enfance, enfant indien adopté à deux ans par un couple atypique, jumeaux rescapés des camps de la mort qui auront à jamais enlevé une part pourtant indispensable d’humanité à ces « deux Ténébreux ». Pas à pas, Antoine ou Abrha dévoilera son terrifiant passé lors de cette marche vers une renaissance, la rédemption ou une paix avec lui-même et son passé, avant le dernier voyage.
Les contes recouvrent quelques caractéristiques récurrentes : lecture à plusieurs niveaux, importance de l’environnement, la faune, parallèle entre les sociétés animale et humaine, les monstres, les arbres et la forêt, la peur, le deuil et la mort, les sentiments humains contrastés, l'adversité, la noirceur et la candeur, la poésie et évidemment un imaginaire libéré et l’enfance, ses cauchemars et ses rêves. Ces ingrédients se retrouvent dans chaque ouvrage de Fabienne Juhel, subrepticement ou clairement, toujours naturellement, sans artifice. Les contes peuvent déranger, les romans de Fabienne Juhel peuvent bousculer. Indubitablement, elle est une remarquable conteuse au premier sens du terme armée d’une vraie écriture, d’une plume affirmée et d’un vrai style, elle réalise jusqu’à maintenant un sans faute. Je vous conseille tous ses livres (cf. autres livres chroniqués sur le site).
« Le loup des contes qui mange la petite fille est un loup alpha, mais celui qui engage la course avec elle, sous le mode du jeu, jusqu’à la maison de la mère-grand, celui qui simule la voix de la fillette est un clown, un cendrillon, comme vous l’appelez, le simulateur.
Mais il s’agit du même alors, il avait dit, pensif.
Du même, oui. »
« Dans l’histoire des hommes, donner naissance et tuer ont toujours été à l’ordre du jour. »
Fiche #893
Thème(s) : Littérature française
Dès le premier mot, le lecteur se retrouve face à une petite fille dont il ne connaîtra pas le prénom, sorte d’Alice bretonne, amoureuse des arbres et notamment d’un hêtre confident et meilleur ami. Petite fille rêveuse, imaginative, chaque personnage qu’elle décrit oscille entre réalité et fiction. Elle dépeint son entourage tel qu’elle l’apprécie, le ressent : Marie, une mère souvent absente et partie retrouver son amante du moment dans l’ile des veuves, un père disparu et Teresa une gouvernante mexicaine attentionnée et aux petits soins pour elle. Jusqu’au jour où s’installe chez elle, Samuel, l’Indien terrible bûcheron venu menacer son royaume. Un univers magique, mystérieux, étrange et secret qui ne se dévoilera vraiment qu’à la dernière page. Superbe texte (ou conte) à l'écriture parfaitement maîtrisée.
Fiche #575
Thème(s) : Littérature française
Arsène Le Rigoleur est un paysan d’une quarantaine d’années, de la Bretagne intérieure, où la terre est prégnante, omniprésente, pesante : « C'est ici qu'il se terre. Non loin des hommes qu'il fréquente à distance, entre chien et loup. ». Bête sauvage, il a son territoire, sa zone protégée, son village, tel un renard, il protège sa tanière. Malheur à celui qui s’y aventure. Pourtant une famille d’urbains vient s’installer dans la ferme voisine. Juliette, cinq ans, vient rencontrer régulièrement Arsène alors que son frère rouquin, Louis, est plus méfiant. Arsène se dévoile avec son vocabulaire, le vocabulaire de la campagne où les mots de la nature, de la faune, de la flore renforcent l’écriture et le thème du roman. Un discours franc, direct, sans artifice. Un parler vrai qui peut être tendre ou violent alors que la peur et la tension s’accroissent au fur et à mesure de la confession d’Arsène. Son attachement viscéral à sa terre, à son seul ami, Yvan, l’entrainent vers une destinée terrible et même s’il semble se questionner, il préfère rester une bête sauvage et aucune culpabilité ne l'émeut lorsque, toujours rusé et aveuglé par sa rancœur, il assouvit sa soif de vengeances. La nature est terrible et violente, mais l’homme n’a-t-il pas la première place dans cette sauvagerie ? Une histoire ténébreuse et dérangeante menée d’une « patte rousse » de maître de Fabienne Juhel.
Fiche #500
Thème(s) : Littérature française
La narratrice est entourée de ses deux enfants Léa et Matthias et de son mari Michel. Peu à peu, son mari s’inquiète de troubles de comportements et le diagnostic est terrible et irrémédiable : six mois à vivre au mieux, un astrocytome s’est installé dans son cerveau. Elle est perdue. Après un malaise, elle est admise dans un service hospitalier. Son mari l’assiste alors qu’elle est perdue dans un état comateux et continue de se perdre. Les réminiscences du passé lui rappellent son long cheminement, cette errance parmi la forêt et les étoiles (l’astrocytome a également la forme d’une étoile) entourée de sa famille. Une belle écriture pour un texte allégorique sur un sujet difficile traité avec poésie, franchise et réalisme, sans pathos et qui remue le lecteur.
« Le cerveau règne partout en maître sur les affaires des hommes. Il s’occupe de politique, d’argent, d’art et d’amour. Le cœur n’est qu’un muscle esclave du cerveau. Le cerveau est roi, tyran, despote, prêtre et confesseur. Et si des pratiques cannibales concernent le cœur, je doute qu’il en existe pour le cerveau. Qui, en effet, prendrait le risque d’ingérer les rêves d’autrui ? ».
« Je sais qu’ils mentent. Je me suis trop bien enfoncée dans la forêt pour espérer retrouver mon chemin et revenir parmi les miens. »
Fiche #264
Thème(s) : Littérature française