« … il est si difficile de devenir léger, cela ne nous est pas donné à la naissance. »
Stéphanie Janicot
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La vision de Paul McCartney dans un parc londonien en août 2022 surprend le narrateur qui est écrivain. Il s’agit du héros de sa jeunesse et il rêve de lui parler. Pour lui dire quoi ? Il doit trier ses souvenirs et va donc nous faire voyager dans le temps et l’espace : de son enfance à 2023, Islande, Moyen-Orient, Londres, les croyances, la musique, un sous-marin jaune et les Beatles, la vie et les personnes attachantes rencontrées, la mort. Enfant, il apprend en effet la mort de sa mère en voiture avec son père. Un mur et le silence les sépareront à jamais. Il trouve un premier réconfort dans la beauté de la nature sauvage des fjords (et des habitants même bourrus) avec sa belle-mère, un apaisement rapidement complété par ses visites à la bibliothèque (« un second foyer »), un premier et essentiel contact avec le livre qui orientera certainement sa vie. Sans jamais perdre le lecteur, Stefánsson nous fait passer d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, de la fiction à la réalité. Un récit autobiographique original expliquant son chemin vers l’écriture, son amour de la fiction (« … j’ai toujours eu une dent contre la réalité, que je me suis employé à repousser, mettre en doute, démolir, transformer. ») qui éclaire ses précédents romans pour ceux qui les ont lus et qui incitera espérons-le les autres à les découvrir.
« Le passé ne passe jamais, il colle à la peau et refuse de nous lâcher. Il est dans tout ce que nous faisons, pensons, ressentons, pourtant, il ne revient pas. »
« Parce qu’il faut du courage pour aimer, et qu’on doit en manquer pour cogner ? »
« … celui qui prétend comprendre le monde est soit un idiot soit un menteur. »
« …au royaume de la sterne, la vie est plus forte que la mort. »
« Je m’efforce de cacher ma tristesse et mon chagrin lorsque je comprends que la vie a toujours prospéré en passant par la mort. »
« Ah, qu’il est ennuyeux d’être mort. »
« Celui qui passe trop de temps dans la solitude perd sa faculté d’étonnement. Celui qui ne sait plus s’étonner se change en eau croupie et pauvre en oxygène. »
« Je dois donc creuser plus profond encore, c’est alors que m’apparaît le principe de l’oubli, et je constate que c’est le terreau sur lequel prospèrent la cruauté, l’intransigeance et la violence. »
Fiche #3136
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Eric Boury
D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pied
Gallimard
3 | 444 pages | 12-08-2015 | 22.5€
Après son inoubliable trilogie, Jón Kalman Stefánsson nous offre un nouveau voyage au cœur de l’Islande, dans « l’endroit le plus noir du pays », une ville particulière oubliée de tous, Keflavik, « Celui qui habite Keflavik ne vit pas vraiment en Islande, ni tout à fait sur terre, il est ailleurs, à l’arrière de toute chose, perdu... ». Pour retracer l’histoire de ce bout de terre, Stefánsson joue avec le temps et sa chronologie en considérant la saga sur trois générations d’une famille, des marins, des pêcheurs, un poète, des femmes, de l’amour, des rêves, de la folie, la mort, c’est donc aussi l’histoire du temps, de sa force et son action inexorable, élimant tout sur son passage, l’amour, les vies et les mots bien aidé parfois par les politiques et leurs fameux cotas. Dense, âpre, puissant, humain, tout simplement éblouissant, mais dommage qu’un billet pour l’Islande ne soit pas glissé dans le roman !
« Nulle part ailleurs en Islande, les gens ne vivent aussi près de la mort. »
« … les souvenirs sont des gros blocs de pierre que je traîne derrière moi. »
« La vie, lit-on quelque part, est un faisceau de lumière qui traverse brièvement les ténèbres et s’évanouit l’instant d’après. »
« Je ne suis pas certain qu’on tente vraiment de comprendre les autres – faisons-nous réellement tous les efforts nécessaires ? N’essayons-nous pas, au contraire, constamment, notre vie toute entière, d’amener les gens à envisager le monde de la manière dont nous l’envisageons ? N’est-ce pas là un de nos plus grands maux ? »
« Celui qui lit tellement de poésie qu’il vient à imaginer qu’il peut nager jusqu’à la lune doit pouvoir vivre plus longtemps, le monde ne saurait se passer de ce genre de personnes. »
« La vie naît par les mots et la mort habite le silence. C’est pourquoi il nous faut continuer d’écrire, de conter, de marmonner des vers de poésie et des jurons, ainsi nous maintiendrons la faucheuse à distance, quelques instants. »
« Quel mal y a-t-il, évidemment aucun, nous devrions tous de temps en temps sortir en courant de chez nous et crier à tue-tête pour glorifier la vie, à moins que l’existence ne coule de source et ne relève à ce point de l’évidence ? Combien de fois sommes-nous sortis pour célébrer la vie, cet animal éreinté, cette fleur battue par les vents, cette note puissante et profonde ? »
Fiche #1675
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Eric Boury
La vie des pêcheurs islandais est âpre, le froid, la neige et les tempêtes, la mer et sa violence, la fragilité des embarcations… mais chacun part et repart même s’il sait qu’il peut s’agir du dernier voyage. Chaque marin sait ce qu’il doit faire et à quel moment. Malgré tout, leurs esprits voguent, s’occupent. Parmi eux, Baldur et le gamin ont une passion commune, la lecture et les mots et ils se font une joie de la partager sur mer. Mais le jour du départ, Baldur s’aperçoit qu’il a oublié le livre de poésie qu’il est en train de lire et repart le chercher. Il en oublie sa vareuse, erreur fatale, la mer et le froid ne pardonnent pas d’approximation. Au retour, le gamin que cette disparition a bouleversé et ébranlé, rapporte ce livre assassin à son propriétaire, autre amoureux des livres et de la lecture, sans avoir encore décidé s’il allait continuer le chemin de sa vie. Premier opus de sa trilogie, J.K. Stefánsson prouve immédiatement son sens du détail, son art de la description, son amour des mots et de la langue, il se dégage une grande puissance de ses textes. Le lecteur est immédiatement happé et immergé dans le récit, la vie, la mort, la douleur, la souffrance mais aussi le rêve, les espoirs, les petits instants de bonheur. Entre Ciel et terre, quoi d’autres que la vie et la littérature ?
« Les hommes n’ont nul besoin de mots, ici, en pleine mer. La morue se fiche des mots, même des adjectifs comme sublime. La morue ne s’intéresse à aucun mot, pourtant elle nage dans les océans, presque inchangée, depuis cent vingt millions d’années. Cela nous apprend-il quelque chose sur le langage ? Eh bien, nous pouvons peut-être nous passer des mots pour survivre, mais nous en avons besoin pour vivre. »
Fiche #1288
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Eric Boury
Jens le Postier arrivé fraîchement (dans les deux sens du terme !) au village accepte de remplacer l’un de ses collègues et d'assurer une nouvelle tournée vers les derniers et dangereux fjords du Nord. Le gamin est désigné pour l’accompagner. Ces deux êtres totalement opposés se voient unis dans ce raid ultime face à la puissance destructrice de la nature : l’âge, l'expérience, le physique, la parole, les centres d’intérêt, tout les sépare. L’un se réfugie dans la solitude de l’effort pour s’oublier, l’autre rêve à ses lectures poétiques, à ses amours prochains et à sa vie future (« Leurs yeux se croisent, mais ils ne se disent rien, il est vrai que les mots peuvent être tellement vacillants, tellement fragiles, il existe un tel abîme entre eux et les choses qui s’agitent au fond de vous, et cette distance est souvent source de regrettables malentendus, il arrive même qu’elle détruise des vies. »). Pourtant cet effort et cette aventure tissent pas à pas, flocon après flocon, des liens forts, Jens a promis de ramener le gamin indemne mais c’est pourtant lui le premier qui sauve Jens d’une mort certaine dans les eaux glacés. Chaque pas est un combat, la recherche de l’itinéraire souvent hasardeuse. Mais leur arrivée généralement inattendue dans les fermes isolées est toujours un instant de joie. Les nouvelles défraîchies qui se fanent à chaque pas pourtant victorieux du combat contre le froid et la neige sont accueillies avec bonheur, de quoi oublier pendant quelques instants le quotidien si âpre. Le récit oscille entre les réflexions et introspections inhérentes à la solitude et à l’effort produit par les deux compagnons et la description de leur combat permanent contre le froid, le vent et la neige. La chaleur de leur relation ne fait que peu de poids face aux aléas climatiques subis. A lire au coin du feu !!!
Sélection Prix Page des Libraires 2011
« L’homme meurt si on le prive de pain, mais il dépérit et se fane en l’absence de rêves. »
« Nous mourons si nous n’écoutons pas ce qu’enseigne l’expérience, mais nous moisissons si nous y prêtons trop d’attention. »
« Peut-être n’est-ce pas Dieu qui a créé le pêché, mais plutôt l’inverse. »
« Les seuls fantômes que j’ai rencontrés, ce sont les vivants. »
« Les deux hommes se taisent, le gamin par timidité, Jens parce qu’il préfère le silence à bien des choses, le silence est un refuge, il vous procure la paix. »
Fiche #1003
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Eric Boury