« Passé quarante ans, le hasard bouscule la vie au lieu de la construire. »
Christophe Carlier
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Son divorce et la mort de son père décident Yann de Kérambrun, historien, à partir et rejoindre la maison familiale. Quitter Paris, quitter son métier. Retour à Saint-Malo face à l’île de Cézembre. Contempler la mer, le sable, le ciel… Toujours présents, toujours différents. Un lieu qui attire, hypnotise, apaise ou bouscule. Un lieu qui lui rappelle sa propre enfance notamment ses vacances avec sa grand-mère Léone mais bientôt bien au-delà. Les archives familiales et des rencontres le mènent en effet sur les traces de son arrière-grand-père, Octave, fondateur d’une compagnie maritime. Un capitaine d’industrie, brillant, qui fréquentera la haute société, mais un homme qui cachera toujours ses souffrances, ses failles, ses inquiétudes. Yan les découvre et s’y reconnaît. La légende familiale prend corps, le rôle de la mer s’éclaire, l’impact de l’histoire apparaît (conséquence de la seconde guerre, Cézembre restera interdite au public jusqu’en 2019), le silence familial se lézarde. Comprendre ces silences et ces aïeux, mettre à jour les secrets, un chemin vers une vie apaisée, peut-être à l’écart mais avec Rebecca… « Je songeais aux noms qui peuplaient les cahiers d’Octave, silhouettes incertaines qui, à chaque pièce exhumée, s’incarnaient davantage. A mon envie d’interroger leur destinée, après des décennies d’indifférence. », tout est dit : un document, une photo, une partition, et Hélène Gestern se lance brillamment sur les traces du passé, des silences, tissent des fils entre hier et aujourd’hui, nous envoûte pour mieux appréhender l’Histoire et ses conséquences, et comprendre l’héritage d’une généalogie et ses transmissions.
« Depuis le ciel, Cézembre paraît minuscule et quiète. On se demande comment un si petit promontoire a pu héberger tant de douleur et de fureur. »
« Voulu croire qu’on domestiquait ses démons comme on attache des chiens, que la force de l’esprit est assez puissante pour reconfigurer le cours des événements. Quelle illusion. »
« … le souci des vivants a plus de prix que les égarements des morts. »
Fiche #3157
Thème(s) : Littérature française
Scarlatti est le musicien aux 555 sonates. Alors quelle surprise pour Grégoire Coblence, qui, en réparant un étui de violoncelle, trouve une partition qui semble être une sonate de Scarlatti, ce serait donc la 556ème. Quelle découverte exceptionnelle ! A peine le temps de la présenter à quelques connaissances, un cambriolage et la voici qui disparaît à nouveau. Evidemment, chacun va souhaiter retrouver ce bijou (avec diverses motivations). Cinq personnages bien différents (voire six…) se lancent dans une enquête à suspense pour la retrouver et personne ne sortira indemne de cette recherche. Hélène Gestern avec sa précision habituelle nous tient en haleine tout au long de ces presque 500 pages, nous inclut immédiatement dans son monde, nous fait rencontrer ses personnages contrastés (on ne peut rester indifférent à aucun d’entre eux), nous fait sentir, ressentir la musique, sa puissance, ses évocations, ses vibrations, elle nous fait découvrir la création, les métiers autour de la musique (luthiers, restaurateurs, collectionneurs, musiciens…) et des instruments avec érudition et légèreté. Comme à chacun de ses romans, Hélène Gestern tisse sa toile autour du lecteur qui s’y laisse toujours prendre avec un immense plaisir page après page, personnage après personnage, roman après roman.
« A quoi sert la musique, si ce n'est à être partagée ? Je ne connais rien qui égale sa capacité à reformuler nos chagrins dans une langue supportable. »
Fiche #2823
Thème(s) : Littérature française
Hélène Gestern nous propose deux courts textes, Un vertige et Une séparation, qui se répondent et nous proposent une analyse fine, chirurgicale de l’éloignement amoureux et de la rupture : l’amour et ses multiples facettes, entre douceur et violence, du « vertige exquis » au terrifiant vertige. Elle nous décrit avec précision (comme à son habitude) les moments de tension, les moments d’attente, les moments où l’autre est l’essentiel et l’unique préoccupation, la solitude, les manipulations que l’on accepte et supporte puis qui suscitent la peur, la destruction de l’être menant à l’isolement, les indices de la future séparation que l’on commence par refuser puis que l’on accepte tout en continuant d’espérer jusqu’à l’issue fatale où seuls les souvenirs demeurent.
Ecouter la lecture de la première page de "Un vertige"Fiche #2001
Thème(s) : Littérature française
Elisabeth Bathori, une historienne de la photographie, travaille à l’Institut pour la Mémoire Photographique du siècle, on ne sera donc pas surpris de retrouver d’emblée deux mots chers à Hélène Gestern : mémoire et photographie. Elisabeth Bathori est naturellement une vraie enquêtrice, elle ne peut lire un extrait de correspondances sans réagir. Alors quand elle se retrouve en possession des lettres qu’Albert Willecot mort pendant la première guerre a écrit à son ami Anatole Massis où il n’hésite pas à parler de l’horreur de la guerre qui fait oublier jusqu’à l’odeur de la forêt sans oublier sa passion pour la poésie d’Anatole, elle ne peut que partir à la recherche des réponses d’Anatole. Photos après photos, cartes postales de propagande, lettres après lettres, Elisabeth remonte le temps et la mémoire pour suivre les traces des deux hommes et retranscrire leurs vies, la petite histoire au cœur de la grande. La narration mêle cette enquête au quotidien d’Elisabeth, à son intimité, une vie en marche vers une reconstruction et plus de sérénité. Comme à son habitude, Hélène Gestern multiplie les sources d’information pour construire une enquête efficace qui nous parle de mémoire, d’identités et de lignées, d’histoire, de guerres, de destins, dans un texte construit, dense, riche et ample, avec une intrigue qui tient en haleine. Du grand art !
« J’empruntais la vie d’une autre, je mettais mes pas dans les siens, j’adoptais son histoire. Etait-ce malsain, morbide, immoral ? Je ne le savais pas et je n’avais pas voulu me poser la question, me laissant guider par une mémoire qui ne m’appartenait pas, mais dont j’épousais sans discuter les méandres. Parce que, à la faveur de cette enquête sur les lettres centenaires d’un soldat dont j’ignorais l’existence quelques mois plus tôt, quelque chose d’infiniment lent avait commencé à remuer à l’intérieur de moi, quelque chose qui n’avait pas encore ni forme ni nom, mais qui poussait obscurément les parois du chagrin pour réclamer l’énoncé de la lumière. »
Fiche #1849
Thème(s) : Littérature française
Héloïse est documentaliste et collabore actuellement avec Olivier qui travaille sur une émission exposant les liens entre photographie et Histoire. Ce jour, ils vont déjeuner et prennent le métro. Une bombe explose, leur rame est atteinte. Olivier blessé va tout faire pour extraire Héloïse, il la porte, ils sont couverts de sang, elle a ses habits déchirés, et un photographe « immortalise » le moment. La photographie parait dans un journal à scandales et sur Internet. Sans autorisation, ni avertissement. Un instantané volé (Témoignage ? Voyeurisme ? Droit à l’information ?) qui prend sa place dans le flot des images, que beaucoup ignoreront, oublieront (« des images, on en a plein les yeux, je le sais parce que j’ai internet, pour bavarder avec mes petits-enfants. On ne les regarde même plus. Ce qu’il y a derrière, la vérité des corps, l’amour ou l’oppression, on s’en fiche. ») et pourtant… leur famille, leur entourage, leurs amis s'interrogent. A leurs questions, il faut trouver des réponses, sans être fautif, il faut néanmoins établir une stratégie. Cette une leur est maintenant irrémédiablement associée, comme gravée en eux, sur leur front et pourront-ils s’en extraire ? Chacun d’eux réagit à sa façon à ces questions, à ces regards interrogatifs, insistants ou suspicieux, à ce viol de leur intimité. Après cet évènement et la divulgation de cette image, en trois mois, leurs vies seront bouleversées (« Les choses ont changé, en effet. On peut même aller jusqu’à dire que rien ne sera plus jamais pareil… Nous ne retournerons pas déjeuner à Odéon de sitôt. »), eux qui travaillent sur l’image voient leurs existences basculées par l'une d'elles et pourtant, l’avenir les appelle et il faudra bien rebâtir sa vie et se reconstruire. A travers le destin de deux êtres attachants et blessés, Hélène Gestern nous interroge sans aucune lourdeur sur le droit à l’information et ses limites, sur la puissance d’Internet difficilement maîtrisable, sur le pouvoir des images, sur certaines pratiques journalistiques outrancières et sur l’avalanche d’images qui nous étouffent.
Ecouter la lecture de la première page de "Portrait d'après blessure"Fiche #1507
Thème(s) : Littérature française
Un jour, "presque par hasard", le père de Laurence Emmanuel lui avoue un secret pesant touchant leur passé commun. Nouvelle bouleversante, inattendue quoique « Je savais depuis tout à l’heure, et sans doute depuis plus longtemps encore, ce que j’allais entendre et que j’avais préféré ignorer, tant il était facile de laisser couler le temps comme l’eau, de fermer les yeux et de croire que l’ordre des choses demeurerait immuable. ». Immédiatement, Laurence Emmanuel va vouloir savoir, enquêter, fouiller le passé, partir sur les traces de quelqu’un pourtant disparu (point commun avec l’excellent « Eux sur la photo »). Rapidement, elle croise dans ce passé un homme, Guillermo Zorgen, figure de l’extrême gauche des années 70, période où le feu couvait derrière chaque engagement, mais pouvait aussi détruire quand certains le jugeaient nécessaire (« … tutoyer la mort, la frôler d’aussi près que possible, dans l’espoir de la rencontrer. »). Quels liens pouvaient donc exister entre ses parents et Guillermo Zorgen et ses engagements ? Son enquête lui ouvre des avis et des voies discordantes mais révèle une période unique où les engagements, les combats, les passions s’unissaient dans des destins parfois tragiques. On est loin de l’image idyllique que certains médias tentent d’imposer aujourd’hui, et l’Etat n’était pas en reste… les violences et manipulations traversaient tous les camps ! Laurence Emmanuel saura se trouver dans ce passé, se reconstruire en ne compromettant aucunement les liens affectifs avec ses parents, « Je ne voulais plus savoir, mais comprendre, ce qui n’avait rien à voir… ». Hélène Gestern confirme avec ce deuxième roman envoûtant sa maîtrise de la narration, Eux sur la photo était un roman épistolaire, ici, elle entremêle avec succès le récit de coupures de journaux, de lettres, d’articles et autres manifestes politiques, les voix se multiplient mais la recherche du passé, des secrets demeurent, sans aucun essoufflement.
Ecouter la lecture de la première page de "La part du feu"Fiche #1226
Thème(s) : Littérature française
Une photographie retrouvée parmi les papiers familiaux incite Hélène à partir sur les traces de sa mère, morte lorsqu'elle avait trois ans. Le silence familial a toujours laissé ses questions sans réponse. Une petite annonce et Stéphane vivant en Angleterre répond après avoir reconnu son père, un père qu'il a toujours senti distant : "De quels secrets a-t-on voulu nous protéger, et au prix de quels mensonges ?".
A distance, ils se lancent dans une enquête contre le silence, vers le passé tu, un passé sur le papier qui reprend vie parfois après quelques hésitations, pas à pas, pièce après pièce, enquête coopérative malgré une appréhension parfois différente des avancées. Que vont-ils découvrir ? Vont-ils l'accepter, le digérer pour finalement mieux se connaître ? L'image (la photo ?) qu'ils ont d'eux et de leurs familles ne va-t-elle pas s'en trouver bouleversée ? Hélène Gestern sur un thème assez commun réussit parfaitement sa partition par la singularité de la forme et du traitement qu'elle a adoptée.
"Vous me demandez qui va se souvenir de nous. Je vous dirais volontiers que c'est d'abord à nous de nous en soucier. De recréer un présent qui nous appartiendra et que nous ne nous disputerons pas les morts. Nous sommes poussés en avant, c'est vrai. Mais d'un même mouvement, cette fois."
Premier roman
Fiche #960
Thème(s) : Littérature française