« Attendre la mort avec une âme sereine. »
Marc Aurèle
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Ils sont trois amis, différents mais unis, Serbe, Croate qu’importe dans la Yougoslavie d’hier. En 1990, Damir et Jimmy avec à leur côté Nada, forment les Bâtards célestes, un duo rock, qui anime les nuits de Zagreb avec son tube « Le vent froid a gommé les frontières ». Des jeunes comme les autres, les mêmes rêves, les mêmes espoirs et qui pensent appartenir à une même nation, une même terre. Bien loin de se douter que l’Histoire va leur prouver le contraire et chambouler avec une fulgurance inattendue et violente leurs destins. Progressivement, la politique va s’immiscer dans leur quotidien. Même leur dernier succès « Fuck you Yu » prendra sa part même involontairement à l’explosion de la Yougoslavie. L’ogre de la division a faim, et rien ne l’arrêtera. Pendant longtemps, ils ne vont pas y croire, préférer tourner le dos, en rire. Mais la pression va croître, et il deviendra obligatoire de choisir, choisir son camp (« Il faut choisir ton camp, Damir. On ne peut pas rester au milieu comme ça. »), et donc s’impliquer ou partir, fuir. Les atrocités peuvent commencer, l’harmonie et la cohabitation vont disparaître, les petites haines, les petites rancoeurs jaillissent et prennent de l’ampleur. Au milieu de cette haine, un Français, le Français qui reste énigmatique pour ses frères de lutte. Il a quitté Nevers et sa jeune amoureuse, Katia, jeune adolescente punk qui pense avoir trouvé l'amour de sa vie, pour s’engager aux côtés des Croates. Il ne semble pas ressentir la peur et ses motivations profondes demeurent troubles. Ils vont tous se retrouver dans l’enfer : le siège de Vukovar, abattoir à ciel ouvert, une ville où tous se côtoyaient en sachant peut-être que le jour prochain de la séparation viendrait. Timothée Demeillers continue son exploration de l’histoire européenne et de sa jeunesse. Il a certainement pris son envol avec ce roman polyphonique ambitieux, dense et ample à la fois, qui parle de nous dans la douleur et la violence et dissèque la progression inexorable de ces fièvres patriotiques et religieuses qui main dans la main, mènent à chaque fois, inexorablement, vers la guerre, la haine de l’autre et de sa différence.
Ecouter la lecture de la première page de "Demain la brume"Fiche #2558
Thème(s) : Littérature française
Prague fait partie des capitales européennes où beaucoup rêvent de séjourner, ville mythique, belle carte postale. Mais derrière la vitrine, que trouve-t-on ? Marek, après avoir déserté Prague au début des années 2000 pour les Etats-Unis, est de retour sept ans après. La ville a totalement muté. Son ami Jakub aussi. Sans parler des touristes qui ne viennent pas uniquement pour les belles pierres ! On suit les pérégrinations de Marek de clubs en bars, d’alcools en drogues, de filles en filles à la recherche de Sa ville et de son amour de jeunesse, Katarina. Le communisme a été expulsé laissant rapidement place à un capitalisme débridé. Il se retrouve donc devant mafias, prostituées, et la disparition du Prague populaire, un désenchantement flagrant et profond. Evolution classique, enrichissement exponentiel d’un petit nombre, appauvrissement et misère pour le plus grand nombre incitant même certains à regretter l’ancien régime… Un portrait dense, précis et désenchanté de Prague qui casse l’image idyllique de cette capitale européenne.
"On ne peut pas toujours rattacher la destinée d'un homme à celle de sa nation"
Premier roman
Fiche #2045
Thème(s) : Littérature française
Erwan a du temps devant lui pour réfléchir. Il est en cellule et encore pour de longues années. Il lui est donc possible de songer à l’évènement, à l’instant où tout a basculé, où sa vie a définitivement pris une autre direction, loin de celles de son frère, sa femme et ses deux petites filles. Erwan était ouvrier dans un abattoir de la banlieue d’Angers. Chaque jour, il prend sa voiture pour rejoindre les frigos, ses collègues, ses chefs mais surtout les carcasses et les machines inépuisables qui transportent, coupent… Travail à la chaîne, dans le froid et le bruit, des sons métalliques qui vous habitent bien longtemps après avoir quitté l’usine (« Je vis pour l’usine. Je vis par l’usine. Même ici. Elle s’est greffée à moi. »), des odeurs, des images qui vous font réveiller en sueur en pleine nuit. Rien pour s’échapper, pour fuir, tenter simplement de survivre. Une répétition à l’infini des gestes et des carcasses qui défilent les unes après les autres. A peine embauché, le seul espoir réside en la retraite et de pouvoir en profiter quelques temps, quelques mois, quelques années au plus... Seul rayon de soleil, sa rencontre avec Laëtitia, une étudiante venue pour un stage d’été. Mais qui peut envisager de vivre durablement avec un gars travaillant aux abattoirs, dans les carcasses et le sang ? Un texte prenant qui met en avant un invisible, bien loin des reportages habituels qui vont exclusivement évoquer la souffrance animale, pourtant l’un n’excluant pas l’autre, Timothée Demeillers nous parle aussi sans artifice de la souffrance humaine, du monde du travail où s’accomplir demeure une affirmation simplement inenvisageable, une utopie. L’écriture et le style rendent parfaitement l’ambiance, l’âpreté et la difficulté du travail, sa répétitivité, les odeurs, l’agressivité des machines et des supérieurs. Une très belle et percutante découverte.
« Ceux que les mêmes gestes répétés à l’infini sur quarante ans n’ont pas trop amochés. Les mêmes gestes. Les mêmes mouvements du corps. Les mêmes muscles qui travaillent. Les mêmes tendons, les mêmes os. Les mêmes os, qui au fil du temps se déforment, se calcifient. On devient des sortes de mutants, à travailler à la chaîne. On devrait étudier ça en anatomie. Le corps d’un ouvrier à la chaîne. Les transformations du corps d’un ouvrier à la chaîne. Les douleurs. Les maux. La journée, ça va encore. Parce que les muscles sont chauds. Parce que les tendons sont chauds. Mais une fois au repos. La nuit. Les douleurs apparaissent. Les sales douleurs de trop répéter les mêmes mouvements mécaniques. Avec l’angoisse croissante de se dire que demain ça n’ira que plus mal. Parce qu’il faudra y retourner. Il faudra recommencer. »
Fiche #1985
Thème(s) : Littérature française