« S’il faut en conclure que c’est le bonheur qui rend malheureux, on n’est pas sorti de l’auberge. »
J.M. Erre
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Grand-mère et grand-père habitent une maison bourgeoise. Ils ont les moyens, ils les ont toujours eus. Ils ont toujours privilégié leurs envies, leur plaisir à la famille, une descendance beaucoup moins aisée. Mais aujourd’hui, Grand-mère et grand-père divaguent... Et même s’ils n’ont jamais demandé de l’aide, même si un gouffre les sépare du reste de la famille, Petit-fils est envoyé en éclaireur. Petit-fils va parcourir pièce après pièce la maison, se remémorer quelques souvenirs et découvrir l’état de ses grands-parents, l’évolution de cet état et mais aussi leur caractère inchangé : Grand-père semble déjà parti ailleurs alors que Grand-mère limite paranoïaque reste très active ! Une construction et un style très personnels pour le portrait percutant d’une famille fracturée par les inégalités sociales que même la démence ne pourra réconcilier.
Ecouter la lecture de la première page de "Les mains pleines"Fiche #3214
Thème(s) : Littérature française
La vision de Paul McCartney dans un parc londonien en août 2022 surprend le narrateur qui est écrivain. Il s’agit du héros de sa jeunesse et il rêve de lui parler. Pour lui dire quoi ? Il doit trier ses souvenirs et va donc nous faire voyager dans le temps et l’espace : de son enfance à 2023, Islande, Moyen-Orient, Londres, les croyances, la musique, un sous-marin jaune et les Beatles, la vie et les personnes attachantes rencontrées, la mort. Enfant, il apprend en effet la mort de sa mère en voiture avec son père. Un mur et le silence les sépareront à jamais. Il trouve un premier réconfort dans la beauté de la nature sauvage des fjords (et des habitants même bourrus) avec sa belle-mère, un apaisement rapidement complété par ses visites à la bibliothèque (« un second foyer »), un premier et essentiel contact avec le livre qui orientera certainement sa vie. Sans jamais perdre le lecteur, Stefánsson nous fait passer d’un pays à l’autre, d’une époque à l’autre, de la fiction à la réalité. Un récit autobiographique original expliquant son chemin vers l’écriture, son amour de la fiction (« … j’ai toujours eu une dent contre la réalité, que je me suis employé à repousser, mettre en doute, démolir, transformer. ») qui éclaire ses précédents romans pour ceux qui les ont lus et qui incitera espérons-le les autres à les découvrir.
« Le passé ne passe jamais, il colle à la peau et refuse de nous lâcher. Il est dans tout ce que nous faisons, pensons, ressentons, pourtant, il ne revient pas. »
« Parce qu’il faut du courage pour aimer, et qu’on doit en manquer pour cogner ? »
« … celui qui prétend comprendre le monde est soit un idiot soit un menteur. »
« …au royaume de la sterne, la vie est plus forte que la mort. »
« Je m’efforce de cacher ma tristesse et mon chagrin lorsque je comprends que la vie a toujours prospéré en passant par la mort. »
« Ah, qu’il est ennuyeux d’être mort. »
« Celui qui passe trop de temps dans la solitude perd sa faculté d’étonnement. Celui qui ne sait plus s’étonner se change en eau croupie et pauvre en oxygène. »
« Je dois donc creuser plus profond encore, c’est alors que m’apparaît le principe de l’oubli, et je constate que c’est le terreau sur lequel prospèrent la cruauté, l’intransigeance et la violence. »
Fiche #3136
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Eric Boury
Trois voix pour ce roman choral : Xavier, Mathieu et Marie. Marie et Mathieu vivent en couple, leur fille Jeanne ayant quitté récemment le cocon familial, ils se retrouvent en duo, face à face. Marie est une femme hyper active, très engagée dans son métier. Elle a été très amoureuse de Mathieu mais une certaine distance s’est créée dans le couple. Mathieu a noué une relation privilégiée avec Jeanne et semble se satisfaire de sa vie de couple. Marie le traîne un soir à l’une de ses nombreuses soirées mondaines et il rencontre Xavier, un journaliste pigiste. Une discussion informelle loin du tumulte, quelques regards, il se passe quelque chose, ils se revoient une fois et peuvent s’avouer leur coup de foudre, leur envie d’être ensemble, de s’aimer, de partager. Mais évidemment, Mathieu est en couple, même s’il ne se l’est jamais avoué, mais il se sait pas à sa place (« Etre un bon petit soldat. Un bon père. Je crois même que, de temps à autre, j’arrive à être un bon mari. »). Alors ce sera deux ans de bonheur mais caché et secret. Xavier a déjà aimé passionnément mais son premier amour est mort du sida. Alors il oscille entre espoir et désespoir, n’osant croire à son bonheur, aujourd'hui et demain. Et puis Xavier meurt au volant de sa voiture. « Un empêchement » donne successivement la parole à Mathieu, puis post-mortem à Xavier et enfin à Marie. Chacun partage avec pudeur et franchise son quotidien, ses peurs, ses amours, ses déchirements, ses espoirs, ses envies, ses sentiments, ses hésitations. Chronique tendre, douce, sensuelle, délicate et émouvante d’un amour impossible au cœur d’un triangle amoureux.
Premier roman
« L’amour n’est pas le cimetière de nos erreurs et de nos errances. »
« On a beau se savoir mortel, on n’en nourrit pas moins des désirs d’éternité. »
« On est toujours le plus convaincant des baratineurs lorsqu’il s’agit de se mentir à soi-même. »
« Il est plus facile de vouloir du bien aux autres que de les entendre vous faire la leçon. »
« On passe la première moitié de sa vie à désirer des choses que l’on ne peut pas s’offrir et la seconde moitié à se rendre compte que l’on vit mieux sans. On comprend alors que c’est le désir qui nous portait, une certaine forme de frustration aussi. »
« Il arrive un moment où, dans une carrière, on n’est plus jugé sur la manière dont on s’acquitte de ses fonctions, mais sur celle dont on les habite. »
Fiche #3060
Thème(s) : Littérature française
Une femme réceptionniste prépare une conférence sur le Soldat inconnu et l’on suit son enquête sur le sujet, sur la connaissance, la culture, on suit ses pensées, ses nombreuses interrogations. Les questions et les thèmes se multiplient harmonieusement sans jamais perdre l’auditoire et le lecteur, bel exploit puisqu’une voix est entrée en elle et lui donne ses instructions. Que sait-elle exactement ? La connaissance l’intrigue en effet : « Comment on sait ce qu’on sait ; d’où on le sait. ». Paroxysme de cette question, comment connaître ce qu’on n’a pas vécu, donc la mort : « Qu’est-ce qu’être mort ? De quelle manière puis-je connaître la mort ? ». Et naturellement la guerre 14 est un champ terrible d’application. Se connaître grâce au Soldat inconnu et nous rencontrer, partager pour exister, « Tout seul, on n’existe pas. », aborder des thématiques profondes en picorant dans le livre des connaissances, et même parfois avec humour, il faut découvrir cet ovni et se laisser entraîner dans ce tourbillon !
« … l’art est comme la religion, il masque la réalité afin de la rendre vivable. »
« En réalité, on ne sait pas ce qu’on sait. Un savoir qu’on ignore détenir, c’est en le transmettant qu’il nous appartient… Donner à autrui est un moyen de posséder ce qu’on donne. »
« La croyance n’est rien d’autre qu’un sédatif contre la peur de l’inconnu. »
Fiche #2933
Thème(s) : Littérature française
C’est l’histoire d’un été en Normandie. L’histoire d’une enfance, d’un enfant avec sa grand-mère. Chaque jour passe dans l’ennui, l’attente comme spectateur de sa vie. Les journées à la plage, le bain, les repas avec sa grand-mère attentionnée, « Notre vie est une symphonie de robinets qui coulent, de chasses tirées, de bains vidés, de vaisselle lavée, de linge essoré. » Il comble sa solitude par une grande imagination et une acuité extrême sur son environnement : comme un crabe enfoui dans le sable, il passe son temps à observer sans être vu, observer les familles, les enfants et la tendresse au cœur de cette vie qu’il ne semble pas connaître, rêver des relations, des amitiés. Et puis l’inattendu, l’inespéré. Autour d’une méduse, la rencontre avec Baptiste. Puis Baptiste et sa mère, Baptiste et sa famille. Deux garçons qui apprennent à se connaître, se découvrent, grandissent ensemble. Chaque petit geste a son importance, chaque regard, chaque mot, dans la timidité, la pudeur et la prudence. Tout a sens. Le jeune narrateur idéalise d’abord la famille de Baptiste alors que lui a honte de la sienne d’autant plus que sa tante schizophrène s’installe chez sa grand-mère. Un roman sur ce moment particulier de l’enfance qui se construit aussi grâce à l’autre et à l’amitié dans le moment présent en attendant le futur où tout reste possible.
Premier roman
« J’ai du mal à comprendre pourquoi, quand une personne en frappe une autre, ce n’est pas celui qui a donné le coup qui porte la trace. »
Fiche #2576
Thème(s) : Littérature française
Deux femmes, deux familles, deux pays, un piano et un prélude de Scriabine. En URSS, en pleine guerre froide, la petite Katya découvre le piano et ne peut plus s’en passer. Un voisin allemand lui offre un piano exceptionnel, un Blüthner. Devenue adulte et pianiste reconnue, elle choisit l’exil avec sa famille vers les Etats-Unis et abandonne à regret son piano. Près de cinquante ans plus tard, Clara, une jeune mécanicienne de Caroline du Sud regarde son piano en souvenir de son père qui lui a donné peu de temps avant sa mort. Elle n’a jamais réussi à en jouer mais hésite à s’en séparer. Et quand elle poste une petite annonce pour le vendre, elle s’aperçoit immédiatement qu’il lui est impossible de le quitter. Trop tard, un acquéreur est déjà là. Mais Clara n’est pas décidé à tourner totalement la page… Chris Cander captive le lecteur dès les premières pages avec le portrait de ces deux familles, de ces deux femmes, de ce piano : des milieux sociaux différents, des âges différents, des pays différents, un même cadeau, un piano au parcours étonnant, une appréhension de la musique différente, ce parallèle entre ces deux femmes nous aimante du début à la fin et au cœur des récits qui se croiseront des sentiments puissants et la musique de Scriabine.
Ecouter la lecture de la première page de "La mécanique du piano"Fiche #2428
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Florence Cabaret
Le narrateur, consul de France à Belém, passe beaucoup de son temps dans les bibliothèques et son type d’ouvrages favori est le dictionnaire, « les dictionnaires sont des livres d’aventures, des romans noirs, avec règlements de comptes entre des bandes qui se disputent des mots, rien n’y est jamais nommé, rien que surnommé. », ses contes à lui. Or, le consulat doit fermer et il a la charge de disperser sa bibliothèque avant de revenir chez lui. Cette rupture l’incite à revenir sur son enfance et à raconter sa famille et son éducation de la langue et du silence. Immédiatement, le lecteur détecte qu’il n’a pas affaire à un roman comme les autres, les héros sont les mots et la langue (« La langue est une danseuse qui accompagne la caravane humaine. »), l’auteur danse et jongle avec, nous entraîne dans son tourbillon, à son rythme, ses expressions anciennes ou non, populaires ou non, connues ou non, nous émerveillent page après page. On ressent la jouissance de l’écrivain à pratiquer ce jeu raffiné avec les mots et l’écriture et on en demeure longtemps émerveillé.
« Silence : là où il a lieu tu te souviens du silence - mais tu ne te souviens pas plus loin - le silence est sans passé. »
Fiche #1911
Thème(s) : Littérature française
A sa naissance, Lula Ann Bridewell, est noire, superbement noire mais pour ses parents, terriblement noire. Son père quitte le foyer familial immédiatement et sa mère garde ses distances, ne fait guère preuve d'amour et l'élève durement. Pour prouver son amour et attirer l'attention de sa mère, Lula commet un mensonge lourd de conséquences qui l'accompagnera toute sa vie. Puis Lula prend son envol vers la vie, devient Bride, joue avec sa beauté, multiplie les rencontres jusqu'à celle avec Booker qui pourrait être la bonne… Toni Morrison continue de tracer son chemin et retrouve ses sujets favoris, comme les traumatismes de l'enfance, le mensonge, la revanche, le racisme et la différence... Une série de thèmes propices à l'enfermement mais aussi, et heureusement c'est ici le choix de Toni Morrison, à la délivrance, et chacun des personnages principaux de ce dernier roman, in fine, accédera malgré les obstacles à la sienne. Toujours aussi puissant !
« Il soupçonnait que la plupart des vraies réponses concernant l'esclavage, le lynchage, le travail forcé, le métayage, le racisme, la Reconstruction, la ségrégation, le travail pénitentiaire, les migrations, les droits civiques et les mouvements de Révolution des Noirs avaient toutes trait à l'argent. Argent retenu, argent volé, argent comme pouvoir, argent contre guerre… La haine qu'éprouvaient les Blancs, leur violence, était le carburant qui faisait tourner le moteur du profit. »
« Le soleil et la lune se partageaient l'horizon dans une amitié distante, aucun n'était décontenancé par l'autre. »
« Le monde politique était une abomination, ses militants, à la fois les rétrogrades et les progressistes, semblaient rêveurs et mal avisés. Les révolutionnaires, armés ou pacifiques, n'avaient aucune idée de ce qui devrait se passer une fois qu'ils auraient "gagné". Qui gouvernerait ? Le Peuple ? Ben, voyons. »
Fiche #1705
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Christine Laferrière
Gillian se réveille sur un lit. Un lit d’hopital, une blouse blanche au-dessus d’elle. Elle ne se souvient pas de l’accident. Elle était à une soirée avec son mari Matthias (qu’est-il devenu ?), une soirée bien arrosée, une dispute, et un retour en voiture… Résultat : hôpital, des douleurs et un visage à reconstruire totalement. Une façade disparaît, une vie s'estompe. La journaliste accomplie qui passait à la télévision voit son monde s’écrouler, sa beauté disparaître et revient sur son histoire. Sa rencontre avec Hubert un artiste qui se spécialise pendant un temps dans la peinture de nus féminins à partir de photographies. Ils se reverront, il la photographiera sans réussir à la peindre, mais Matthias trouvera les photos ce qui provoquera leur ultime dispute, des photos assassines qui renforceront la culpabilité de Gillian à son réveil. Pour sa convalescence, elle part avec un nouveau visage reconstruit dans la résidence secondaire de ses parents. Nouvelle identité, nouvelle vie, elle semble avoir accepté son destin. Toutefois, elle retrouve pas hasard (ou presque) Hubert qui vit de son côté une période difficile. Ils se retrouvent, et troublés, renouent très lentement une relation que l’on peut espérer durable. Mais Peter Stamm sait surprendre le lecteur évitant le pathos tout en faisant ressentir parfaitement et suggérer les sentiments et la psychologie de ses personnages, à son rythme, tranquillement mais efficacement.
« Gillian se demandait comment elle se débrouillait avec la perte de sa beauté, si c’était plus facile quand ça arrivait doucement ou quand ça se produisait d’un seul coup. »
Fiche #1498
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Pierre Deshusses
Donald, lassé et insatisfait de son quotidien, a décidé de prendre le large. Trois mois de congés à bord de son voilier, loin de tout, pour se recentrer et trouver un apaisement dans ce combat contre la mer et contre lui-même. Pourtant, lors de la dernière étape, sa fille, Maria, âgée de sept ans, doit le rejoindre. Trois jours tous les deux, sur la mer, dans ce petit espace, à partager tous les instants. Enfin. Un père, une fille, complices. Se prouver qu’il pourra le faire. Puis l’arrivée prévue, triomphante, fiers, devant sa femme rayonnante qui les attendra sur le port, pour repartir, tous les trois, unis. Les premiers instants avec Maria sont heureux, paisibles. Mais rapidement, le lecteur ressent le trouble de Donald, sa fragilité, ses doutes et ses peurs, une anxiété de tous les instants, la peur de l’échec permanente, l’atmosphère se tend, comme le bateau, l’homme tangue, hésite. L’orage gronde, et lorsqu’il découvre que Maria n’est plus dans son lit, Donald et le lecteur paniquent, tremblent. La tension est extrême jusqu’à l’arrivée au port qui ne prendra donc pas la forme escomptée… Un grand bonheur que ce premier roman, un style riche, un univers maritime parfaitement décrit, attirant et dangereux, omniprésent et obsessionnel, un suspense sans faiblesse, et le portrait émouvant d’un père en plein doute et parfaitement angoissé.
Premier roman
« Tout le monde est à moitié sourd et aveugle. Les gens ont beau penser le contraire, ça vaut pour tout le monde. »
« L’eau n’a ni sentiment ni histoire. Elle ne fait rien, elle est, c’est tout. Si elle t’assassine, si elle te noie, il n’y a là rien à chercher que ta propre stupidité. La mer n’est ni une amie ni une ennemie. »
Fiche #1328
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Danielle Losman
Le Ballot et le Chinois ne se quittent pas. Inséparables bien que très différents, ils grandissent ensemble dans l’Espagne des années quarante. Ces deux enfants prennent leurs loupes pour analyser avec précision et humour, avec leur clairvoyance et bon sens enfantin mais sans caricature ni mièvrerie, le monde des adultes. Ils veulent absolument tout comprendre de ce monde qu’ils observent sans interruption et laissent parfois libre cours à leur imagination débordante. Amoureux des mots, de leurs mots, ils ne se lassent pas de le décrire. Jusqu’au jour où « l’éternel féminin » en la personne de la jeune orpheline de guerre, Elke, vient à leur rencontre… Un roman original, inventif, tendre, plein d’humour et non dénué d’ironie.
Fiche #1285
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Nelly Lhermillier
Dans ce court roman, Frank Money se confesse d’un passé qui continue de le miner. La guerre de Corée est venue fracasser cet homme et amplifier la déjà puissante violence qui écrasa une enfance douloureuse dont la seule lueur fut sa petite sœur adorée. Dans leur tout jeune âge, ils assistent à un évènement horrible et fondateur et subissent la haine des blancs et du KKK envers leur quartier noir. Aussi des années plus tard, lorsqu'il reçoit des nouvelles alarmantes de sa sœur, il n’hésite pas un instant, il traverse l’Amérique encore ségrégationniste et vient la rejoindre pour retrouver les traces de leur enfance. Le retour est donc double, voyage dans l’Amérique et voyage intérieur. Recréer ce tandem fraternel avec sa soeur, revenir sur ses souvenirs et son passé, sur cette culpabilité et haine de soi qui le détruisent, tenter de faire la paix avec soi-même et de supporter les atrocités aussi bien subies que commises pour redevenir tout simplement un homme. Court texte, et pourtant la construction est fine et parfaite : Toni Morrison varie les points de vue, Frank parle à la première personne et s’adresse au narrateur (voire au lecteur) puis chaque personnage apporte sa pièce au somptueux édifice que constitue ce conte. Le style est puissant, poétique et musical. Magistral !
« Il lui faudrait se concentrer sur autre chose, un ciel nocturne, sans étoiles, ou mieux, des rails. Pas de paysage, pas de trains, juste des rails, des rails à l'infini. »
« Tu es jeune, tu es une femme, ce qui implique de sérieuses restrictions dans les deux cas, mais tu es aussi une personne. Ne laisse pas Lenore ni un petit ami insignifiant, et sûrement pas un médecin démoniaque, décider de qui tu es. C’est ça, l’esclavage. Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je parle. Trouve là et laisse la faire du bien dans le monde. »
« Le malheur s’annonce pas. C’est pour ça qu’il faut que tu restes éveillée, sinon il franchit ta porte, c’est tout. »
Fiche #1192
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Christine Laferrière
Munich, 1933. Le bruit des bottes résonne déjà dans la ville et les discours du petit chancelier occupent les ondes. Un peintre se voit chargé de dresser le portrait d’une enfant image de l’avenir radieux de la nouvelle Allemagne. Insensible aux discours haineux ambiant, le peintre en acceptant trouve là une bonne raison de rester à l’écart du monde et d’éviter de se mêler à la folie ambiante. Deux mondes fermés et apparemment imperméables (« …détachez vous du monde, et il ne manquerait jamais une âme pour vous y ramenez à coup de botte.). Il accueille sa jeune pensionnaire avec un projet déjà bien établi (« On m’avait apporté une merveille, j’allais la façonner comme une masse de terre glaise, et en faire mon chef-d’œuvre. Le reste ne comptait pas. Dehors tout était loin et irréel »). Secondé par Félice sa logeuse mais aussi par Werner Troost un prothésiste aussi génial que fou, ce projet va vite dérivé. L’enfant devient son objet, son jouet, sa poupée (« Oui, jouer, c’était cela au fond qui me plaisait. Jouer jusqu’au dernier moment »). Un lien semble s’établir entre eux deux mais le lecteur demeure toujours dans l’incertitude. La poupée totalement soumise devient une espèce d’automate aux ordres du peintre. Ses incursions momentanées dans le monde extérieur le font suivre l’évolution du régime. Deux mondes, deux évolutions, un même but ? Oppression, soumission, identité, humanité niée… un univers kafkaïen particulièrement noir et pessimiste. Un huis clos réussi parfois dérangeant qui entraîne le lecteur dans une spirale kafkaïenne.
Premier roman
Fiche #624
Thème(s) : Littérature française
Jamal est le fils d’une anglaise et d’un indien, « mi-brit, mi-paki ». Son père pourtant très proche de lui les quitte rapidement et repart au Pakistan. A 50 ans, il est devenu un psychanalyste accompli et reste très lié à sa sœur Miriam exubérante qui vit dans le monde plus trouble de la banlieue londonienne. Jamal dresse avec détachement, recul et réalisme le tableau de sa vie et de la société britannique urbaine (la folie atteint tous les domaines -politique, économique, social, religieux, sexuel, individuel- avec comme point commun l’envie de plaisir et de jouissance) des années 70 aux années 2000. Il décrypte (il est psy) les parcours chaotiques de son entourage de milieux différents à qui il reste fidèle, chacun faisant comme il peut pour tenter de donner un sens à sa vie. Son premier amour marquera à jamais sa vie mais il ne pourra se réaliser, Ajita le quittant subitement et la cause de cette rupture le poursuivra toute sa vie. Le passé ne s’efface pas… Kureishi nous offre une étude psychologique précise de la société anglaise dans toute sa globalité, tous les milieux de cette société contemporaine sont passés au crible sans concession. Un roman très actuel pour mieux appréhender la société de nos amis anglais.
« Les Britanniques sont partis. Le colonialisme a contenu l’islam radical, mais, au moins, les Anglais nous ont laissé leur littérature et leur langue. Une langue, ça n’appartient à personne. C’est comme l’air qu’on respire. Mais ils ont laissé un vide politique que les autres remplissent de pierres. Les Américains, la CIA ont soutenu le retour de l’islam pour empêcher les communistes d’investir le Moyen-Orient. Nous autres, professeurs d’anglais, nous appelons ça l’ironie de l’Histoire. »
« Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou que de n’être pas fou » (Pascal)
Fiche #438
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Florence Cabaret
Quittant son mari et l’Australie, Olivia (« la femme ») retrouve la France avec ses deux enfants (Andrew et Lucy) et le domaine de sa mère qui y règne tel un despote des temps passés. On apprend par petites allusions les causes de son départ. C’est d’ailleurs l’un des principes du livre, apprendre subrepticement au sein d’une phrase anodine, par petites touches, une clé du roman. Son frère Marcus et sa belle-sœur Sophie s’installent simultanément dans la demeure. Ils viennent de subir un drame en perdant au cours de l’accouchement le bébé tant attendu et Sophie ne semble pas en mesure de surmonter ce drame. Elle refuse de se séparer du corps. Dans cet univers lourd, où le silence est roi, Andrew observe ce monde adulte avec un œil tantôt enfantin tantôt adulte. Roman intriguant, sous tension, troublant où les personnages tels des funambules hésitent et tanguent sur le fil de la folie.
Fiche #412
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Jean Guiloineau
Erika Wallmann vient de mourir. Jupp Scholten travaille pour son mari mais se sentait très proche d’Erika : « Les gens croyaient à l’accident. Scholten, lui, n’y croyait pas ». Quelques indices lui font penser que Kurt Wallmann a réalisé le crime parfait : mise en scène efficace, accident simulé, alibi en béton… Le quotidien de Jupp lui est encore plus pesant après cette disparition : un patron omniprésent plus humiliant que jamais, une femme laide, geignarde et tyrannique, pas d’amis. Ses seuls réconforts se trouvent auprès de prostituées et de son chat. Mais Jupp obsédé par cette disparition décide de mener l’enquête et de tirer au clair cette affaire. Seul problème, une fois la culpabilité de Wallmann évidente, Jupp décide de reproduire la mise en scène avec comme acteur principal sa femme…
Fiche #316
Thème(s) : Littérature étrangère Polar/Thriller/Noir
Traduction :
Marie-Claude Auger
Jakob Arjouni nous dépeint une part de la société allemande d’après-guerre. Pur produit de l’après 68, Joachim Linde est professeur d’allemand et il affronte son entourage personnel et professionnel qui semblent s'acharner contre lui. Son sujet sur les prises de position des écrivains allemands d’après-guerre sur le Troisième Reich crée polémique, il est accusé d’avoir eu un comportement trouble avec sa fille, son fils prend partie contre lui et le frappe avant d’avoir un grave accident qui le plonge dans le coma… Joachim revient sur les rares moments de bonheur du début de sa vie qui sont peu par rapport aux difficultés futures. Dans cette analyse des relations familiales où les non-dits et les faux semblants règnent en maître, Jakob Arjouni arrive à introduire le doute chez le lecteur qui hésite à accorder sa confiance à Jakob ou à l’accuser de tous les maux.
« Voilà en effet une des répercutions les plus significatives du Troisième Reich sur notre vie actuelle : la négation, ou plus exactement le camouflage, la dissimulation de notre origine. Nous ne pouvons toujours pas être fiers et contents, comme un Français ou un Anglais, dire d’où nous venons. »
Fiche #314
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Marie-Claude Auger
Cécile Wajsbrot nous offre un récit ambitieux proche d’une étude sur la création et l’art (côté créateur et côté spectateur), sur le silence et les sons, sur les artistes, leur isolement et la musique. La narratrice a rencontré autrefois « le maître ». Elle se rendait régulièrement chez lui et ne faisait que l'écouter attentivement, longs monologues consacrés à sa vision de l'art, de la musique et de la création qui la marqueront à jamais sans qu'elle ne le soupçonne. A sa disparition, une personne proche du maître vient lui demander de conter cette rencontre. Ce retour au passé lui ouvrira des perspectives inattendues. L’analyse de cette rencontre sera toujours mise en parallèle avec les bouleversements et catastrophes du monde (l’art au service de l’analyse de notre monde) mais entrainera également la narratrice dans un isolement encore plus fort qu’elle tentera d’amoindrir en s’efforçant de converser avec des invisibles. Elle raconte sa fascination, son écoute pour cet homme qui lui offre ses pensées et vit par et pour la musique, la sienne et celles des autres (« Nous sommes tous à la recherche d’une chose qui nous dépasse, disait-il, ou plutôt, nous en avons l’intuition et la vie se passe à essayer de reconnaître cette chose. Pour moi, c’est la musique. »). Ce roman est le premier d'une série autour du thème « l'œuvre d'art et sa réception ».
« Avez-vous éprouvé cette sensation, disait-il, cette sorte de douleur, ce serrement de cœur quand on vous dit quelque chose de particulièrement juste ou d’effrayant, d’émouvant, quelque chose qui vous atteint ? Cela arrive dans la musique et c’st ce que je cherche à produire, cette douleur douce. »
« …le chant, disait-il, est une tentative d’atteindre l’infini »
Fiche #315
Thème(s) : Littérature française
De 1941 à 1943, pendant neuf cents jours, Leningrad est assiégée par l’armée allemande. La survie s'organise pendant ce long blocus. La vie doit continuer et continue. Les petits gestes quotidiens perdurent malgré la peur, l'extrême difficulté de la vie. Malgré la famine, l'invention est présente pour tenter d'exploiter au mieux le peu de denrées disponibles. Lidiya Ginzburg nous offre une description précise et objective de tout ce qui constitue la vie au jour le jour pendant ce blocus, du plus anodin au plus essentiel ou héroïque : "Un homme en train de se noyer se débat, et ne s'en plaint pas - ce n'est pas déagréable de se débattre".
Avis de Jorge Semprun : "Etonnant récit, précis, dépouillé, d'une sobriété exemplaire. Nul pathos dans ces pages : une description phénoménologique, d'enquête anthropologique. Nul recours aux motifs idéologiques habituels de la littérature soviétique de l'époque".
Fiche #97
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Michel Doury
- Collet - Stefánsson - Aumont - Obiégly - Lindenberg - Cander - Bayen - Morrison - Stamm - Heijmans - Pombo - Morrison - Velut - Kureishi - Leigh - Kettenbach - Arjouni - Wajsbrot - Ginzburg