« On n’oublie jamais rien ; on escamote ou on enfouit. »
Ingrid Thobois
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Emma Fulconis est originaire de l’Escarène dans l’arrière-pays niçois. Dès qu’elle le put (« Toujours, on l’a connue qui courait. »), elle se mit à courir, un véritable petit cabri, aérien, fou, libre : « Elle va comme le vent, elle file comme une flèche, c’est ça, elle est une flèche. Athlète. Zèbre. Flèche. ». Véritable athlète (on la surnomme l’athlète), en dehors du monde, au-dessus du monde et le bonheur de courir, loin de toute compétition, aucune envie d’être première : « Elle ne courait pas relativement, mais absolument… elle était ailleurs… elle courait de tout son cœur. ». Jusqu’au jour de bascule : elle s’arrête chez son ami Stéphane, et dès la porte franchie, un molosse se jette sur elle, lui lacère la jambe, déchire les chairs, atteint le péroné appelé aussi l’agrafe. Hôpital, douleurs, rééducation… Emma a alors du temps pour penser aux paroles du père de Stéphane : « Mon chien n’aime pas les Arabes. ». Comme le chien blanc de Romain Gary, ni excuse, ni justification, juste une terrible réalité. Alors Emma, volontaire comme toujours, veut comprendre, passer outre les silences, remonter l’histoire, son histoire, l’histoire de la France, et de l’Algérie. Les faits, rien que les faits : l’histoire d’Emma et des siens, des habitants de l’Escarène, l’accueil des Harkis et « l’agrafe » qui n’existera pas entre eux et les autochtones. La blessure d’Emma met à jour celles de la région, en acceptant la sienne, sans la nier, elle fera tout pour qu’elle cicatrise, mais qu’en sera-t-il pour la seconde ? Un texte aérien tout en maîtrise, sans parti pris, juste une réalité à hauteur d’homme.
« Les chansons déhanchent les mots, les font boiter, divaguer. »
Fiche #3210
Thème(s) : Littérature française
Quatre femmes gravitent autour du personnage principal, la ville de Rome, du dernier roman de Louis-Philippe Dalembert. Rome, le Tibre, son histoire, son architecture et ses constructions, ses monuments et ses quartiers, rive droite pour les plus huppés et rive gauche pour les autres. La contessa, archétype de la vieille bourgeoisie catholique, règne sur sa famille rive droite mais son autorité et ses capacités financières se fissurent. Sa fille Elena refuse les beaux partis qu’on lui propose et lorgne plutôt vers la rive gauche où règne sa tante zia Rachele, pilier de la mémoire familiale. Laura, la fille d’Elena, regarde avec bienveillance les petites révoltes et grandes résignations de ses aînées. L’élégance, la bienveillance et même le sourire de Dalembert au service de Rome et d’une lignée de femmes.
Ecouter la lecture de la première page de "Une histoire romaine"Fiche #3048
Thème(s) : Littérature étrangère
C’est toujours avec bonheur que l’on retrouve les atmosphères légèrement surannées de Robert Seethaler, ses personnages et leur humanité : Simon, l’homme qui reprend ce café sans nom rapidement épaulé par Mila, une jeune femme volontaire fraîchement licenciée de son usine, est à cette image : discret, réservé, débordant d’empathie envers toutes ces personnes qui vont franchir la porte de son café : qui pour discuter, qui pour rêver, qui pour ragoter, qui pour observer en silence, qui pour nouer connaissance, qui pour partager ses espoirs et ses drames… Malgré parfois quelques discussions enflammées, tous viennent chercher une forme d’apaisement alors que Vienne est en pleine reconstruction. Comme dans un village, les deux associés vont créer un espace particulier, d’écoute et d’attention et chacun se plait à retrouver l’autre et ce lieu particulier, chaque lecteur prendra place discrètement parmi eux avec un grand bonheur.
« Quand je ne comprenais pas un homme, je me contentais de sourire. Je crois que j’ai passé la moitié de ma vie à sourire. »
« … les souffrances ne sont que les petits coups de griffe de la vie. Là où ça devient grave, c’est quand on cesse de les ressentir. »
Fiche #3047
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Elisabeth Landes, Herbert Wolf
Elles sont quatre, ovalistes dans les ateliers de soierie lyonnaise, elles tissent, « avec les quatre relayeuses nous avançons dans le mois de juin 1869, vers la grève, la première grève de femmes, de sorte que bien entendu la ligne d’arrivée est la ligne de départ, mais aussi de tous les départs possibles, du commencement, puisqu’il s’agit de la première grève de femmes, que rien n’est enregistré, aucun record. » La grève est une affaire d’hommes souvent armés, prêts à en découdre, alors celle-ci peut paraître aussi anachronique que la forme du récit, un relais de quatre femmes (un relais sportif de femmes, impossible, une grève de femmes, impossible), des femmes venues de partout, de toutes régions françaises, d’Italie… Elles ne savent ni lire, ni écrire, mais seront unies par une course, unies par un métier, unies par une injustice, unies par l’envie de participer, de revendiquer, de se lever, de bouger. Le style est précis, raffiné, le relais est une course rapide, alors le texte est ramassé pour un hommage vibrant à quatre héroïnes oubliées, qui tenteront de forcer les portes bloquées par les hommes et dont les vies seront heurtées à jamais par ce mouvement.
Ecouter la lecture de la première page de "Il n'y aura pas de sang versé"Fiche #3028
Thème(s) : Littérature française
Elle a fait un bébé toute seule ! Stéphanie a bravé tous les obstacles, tous les avis et Eve est née. Evidemment, un ami homo accepte le rôle de père intime. Elle organise une grande fête pour célébrer la naissance d’Eve et cette occasion unique permet de dresser une série de portraits féminins et d’interroger leurs existences, leurs envies, leurs rêves, leur sexualité, leurs relations avec les hommes, avec la famille, la maternité, leurs corps et le temps avec un objectif principal « puisqu'il faut tout féminiser désormais », « Délivrez-nous du mâle. »
Premier roman
Fiche #2989
Thème(s) : Littérature française
La Furieuse inonde le Jura et le Doubs de ses tourbillons, de son flux infini (« J’ai besoin de ce flux permanent qui me rassure, m’apaise et fait naître en moi de multiples envies d’évasion, de dérives. »), de sa colère, mais aussi de sa limpidité. Michèle Lesbre nous invite à un voyage pluriel, voyage dans l’espace, voyage dans le temps, voyage en mouvement, voyage immobile, voyage réel, voyage dans la littérature… Le récit est illuminé de douceur, de nature, de poésie, de souvenirs, de rêves. Dans l’ombre, toujours Léon, le grand-père, (« … j’étais sous le charme de cet homme à la dégaine un peu bohème… ») et Mathilde, la grand-mère (« Quel monde Mathilde avait-elle imaginé ? ») : « Quels voyages ont hanté les imaginaires de Léon et Mathilde ? » La pérégrination avance à son rythme, nous remontons pas à pas à la source et regardons passer le temps tranquillement, sans aigreur ni regrets : « La précipitation dans laquelle nous vivons n’aurait pas été de son goût, il s’en tiendrait à l’écart comme je le tente moi-même. » Alors, prenez votre temps pour déguster et apprécier ce court récit splendide et érudit.
« Il me semble alors qu'il n'y a pas d'autre vie que le passé. Je me ressaisis, mais le pense à nouveau. »
« C’est ça qui est effrayant. Une mémoire et pas de souvenirs. »
« Ecrire… c’est au contraire tenter d’atteindre une cohérence sur la durée, de porter jusqu’au bout les images qui ne s’effacent pas, les chagrins, mais aussi les éblouissements, les désirs, ce qui pour moi est la fidélité. »
Fiche #2987
Thème(s) : Littérature française
« Demeurer dans cette destructrice intranquillité. Je ne m’en arracherai pas. » Marquée par une enfance terrible et terrifiante, Jeanne ne pourra jamais s’en arracher. Dans un village isolé de montagne où chacun sait, mais chacun se tait, avec sa grande sœur Emma, et sa mère, elle subit et vit dès son plus jeune âge la violence d’un père brutal et alcoolique. Un père qui frappe, qui tape, dénigre, insulte celle qui est là, même sa préférée. Après un nouvel épisode encore plus violent qu’à l’habitude, même le docteur ne fera rien pour la sortir de l’enfer, seules les études sembleront l’éloigner et peut-être la sauver. Mais la peur ne l’abandonnera jamais, peur des cris, peur des coups, peur des hommes et la colère l’étreindra pour toujours. Seule la nage dans le lac Léman semble l’apaiser mais le suicide de sa sœur la replonge dramatiquement dans son passé, impossible d’y échapper, un passé et une colère qui empêchent toute relation durable. Un passé qui marque à jamais, omniprésent et qui, subitement, peut resurgir avec violence, empêchant toute sérénité, tout espoir, et le savoir empêche réellement de vivre et d’aimer. L’auteur est directe, sans fioriture, le style est vif et ciselé, elle pose sur le papier les situations, les sentiments, la violence, une série d’uppercuts qui frappent le lecteur qui assiste impuissant à cette impossibilité de vivre.
Premier roman
« Je n’avais pas trente ans, j’étais en guerre. Depuis toujours. Pour toujours. »
« Après. Après il faut revivre… Faire semblant. Mentir. »
Fiche #2872
Thème(s) : Littérature française
Chaque été, Daredjane met un point d’honneur à emmener ses filles dans son pays d’origine, la Géorgie. Moments de tendres retrouvailles avec ses parents et son pays, sans trop analyser ce désir, c’est un passage obligé malgré les difficultés notamment l’escale russe toujours tendue et dévalorisante. Daredjane a quitté la Géorgie suite à un coup de foudre avec Tamaz. Elle venait danser à Paris, il était étudiant en architecture. Ils ne se quitteront plus, leur amour ne faiblira pas et vivront ensemble l’exil et la naissance de leurs deux filles, Kessané et Tina. Ils vivent chichement mais dans un certain bonheur, une famille unie, soudée, les deux filles sont très liées et construisent ensemble une vraie palette de tendres souvenirs. Jusqu’à la mort du père. Quelque chose se brise, un mur prend place au cœur de la famille, le trio féminin va prendre ses distances, des tensions vont apparaître, les reproches couvent puis jaillissent, les jardins secrets de chacune les éloignent les unes des autres pour finalement se retrouver dans une certaine solitude les condamnant à ne plus partager leurs chagrins et leurs bonheurs.
Ecouter la lecture de la première page de "Nous nous aimions"Fiche #2864
Thème(s) : Littérature française
Cathal, ce 29 juillet, rentre du boulot, une journée qui aurait pu être comme une autre, voire inoubliable, s’écroule dans son canapé et s’abrutit devant un documentaire revenant sur le mariage royal de Lady Di. Néanmoins ce reportage lui rappelle son mariage ou plutôt son non mariage. Ce court récit relate en effet sa rencontre deux ans auparavant avec Sabine, la place qu’elle prendra dans vie progressivement, jusqu’à son installation dans son espace vital et intime, le début de la fin. Un court texte au cœur de la misogynie ordinaire et quotidienne, au centre de la non remise en question, des certitudes jamais remises en cause et du refus de l’autre dans sa différence.
« C’était le problème avec les femmes qui cessaient de vous aimer : le voile de l’enchantement se dissipait et elles voyaient clair en vous. »
Fiche #2830
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Jacqueline Odin
Gustav Mahler est assis sur le pont du paquebot l’Amerika pour certainement son « dernier mouvement », il revient d’une tournée américaine. Seul, emmitouflé dans une couverture, dans le froid et le vent, il observe la mer, l’horizon, le ciel, les odeurs et les bruits. Le musicien continue de créer avec la même envie et la même fougue, mais le corps peine à suivre, un monstre de travail dans un corps chétif. A cinquante ans, il est déjà fatigué. De cette contemplation naissent les souvenirs, ses rêveries n'étant interrompues que par un jeune garçon de cabine chargé de le surveiller, de le protéger. Alors il se retourne sur son passé, son enfance, son amour pour Alma, son amour pour ses filles, le décès de sa fille aînée... Mais évidemment il revient également sur son art, son exigence, son travail incessant (« Tout était toujours en chantier. Et lui toujours sur la brèche. Travailler signifiait toujours retravailler. »), son succès. Une vie d’homme, une vie d’artiste et de créateur passionné décrites avec tact, sensibilité, délicatesse, intensité et profondeur avec un style ciselé, tout en suggestion.
« J’ai l’impression d’avoir à peine commencé, et voilà que c’est déjà fini. C’est donc comme ça, mourir, se dit-il. Se tenir tranquille et attendre. »
« La musique n’avait besoin de rien ni de personne, elle était là tout simplement. »
Fiche #2809
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Elisabeth Landes
Annuellement, Belfast voit les tensions renaître lors de la parade orangiste du 12 juillet. 2014 fut une année spéciale : avant le Douze, les incendies illuminent la ville, les appels à la violence se multiplient, la ville s’embrase. Une ville toujours prête à exploser avec une multitude de murs, de hauts murs : entre les pauvres et les riches, les catholiques et les protestants, les flics et les manifestants. Chaque quartier vit replié sur lui-même et les informations hésitent parfois à circuler entre chaque espace. Tout en décrivant le marasme irlandais, Jan Carson nous parle de filiation et de transmission, transmission de son histoire, de ses peurs, de ses rêves mais aussi de sa violence et dresse le portrait de deux pères. Jonathan Murray, médecin, après une rencontre éphémère avec une femme aussi étrange qu’envoûtante, se retrouve avec une petite fille au pouvoir surnaturel à l’image de sa mère. Sammy Agnew, ancien paramilitaire, voit son fils suivre ses traces dans une violence affirmée et assumée. Les deux pères ont peur pour leurs enfants, endossent leur responsabilité et craignent de rester impuissants. Le brasier sera-t-il un jour définitivement éteint, une paix sera-t-elle possible, une paix durable, sans retour en arrière ?
« Il a besoin de dire à son fils que la violence est une chose qui se transmet, comme les maladies cardiaques ou le cancer. C’est une sorte de maladie. »
« Il y a des choses qu’un père peut porter à la place de son fils et d’autres choses qui doivent être portées seules. »
« Parler c’est comme un muscle. Si on ne s’y met pas régulièrement, ça finit par coincer. »
Fiche #2741
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Dominique Goy-Blanquet
Le gérant pakistanais d’une supérette de Milwaukee dans le Wisconsin ne se remet pas d’avoir composé le 911 pour signaler le billet vert suspect d’un client. Une fois indiqué à son interlocutrice que l’homme était noir, ses collègues arrivent en quelques minutes, plaquent l’homme au sol, qui alerte et crie « Je ne peux plus respirer ». La suite est connue, hélas, encore un... Emmett est mort. Le gérant ne saura pas si le billet était faux mais tous se souviendront de la fin de Emmett, un homme ordinaire, parti acheté un paquet de cigarettes, mort sous le genou puissant d’un policier blanc. Louis-Philippe Dalembert convoque depuis sa naissance jusqu’à sa mort les personnes qui ont croisé sa route, les figures inoubliables de sa mère et de son amie ex-gardienne de prison devenue pasteure, institutrices, coach sportif, amis et petites amies, fiancée, policier... Chacun apporte son sentiment, son émotion, son avis, sa pièce au puzzle dressant le portrait d’un enfant puis d’un homme attachant que la vie n’a pas épargné jusqu’au drame ultime. Suit la description des réactions et des évènements suivant le meurtre de Emmett. Ce roman bouleversant et criant de réalisme s’inscrit naturellement et douloureusement dans la série à ce jour hélas toujours en cours des meurtres par la police de noirs américains dans la plus grande démocratie parait-il et on ne peut qu’espérer qu’il s’agisse de l’une des ultimes pierres avant la fin de ces meurtres abjects.
« Abonnés à une vie de déconvenues, ils avaient l’habitude de chasser une chimère par une autre pour tenir jusqu’au bout de la vie. Cela s’appelait le rêve américain. »
« La justice des dominants, c’est la raison du plus fort. Mieux vaut ne pas avoir affaire à elle. »
Fiche #2724
Thème(s) : Littérature étrangère
Catherine Mavrikakis nous livre une lettre d’adieu, une lettre d’amour à sa mère. Un journal de deuil, le livre de la séparation. Arrivée au Québec en 1957, sa mère n’oubliera jamais la France, son pays d’origine et jamais elle ne s’intégrera dans son nouveau pays préférant s’isoler. Mariée à un Grec, elle préfèrera rester repliée sur elle-même et sur ses enfants, « Tu n’as jamais cultivé ton jardin ». Catherine Mavrikakis aurait tant aimé partager avec elle, des auteurs, des livres, partager ce qu’elle aimait, respectait… Mais sa mère était exclusive, accaparante, parfois cruelle et méchante, aucune autre nécessité, aucun autre besoin qu’elle et ses enfants. Elle aurait tant aimé garder sa fille auprès d’elle, ce qui leur interdira toute conversation tournée vers l’intime. Malgré le voile que crée la mort, l’auteure n’oublie pas le caractère de sa mère, elle reste lucide même si l’amour est également présent. Un texte qui marque certainement un tournant dans la vie de Catherine Mavrikakis qui a évité malgré la douleur des souvenirs du passé et de la mort de sa mère un règlement compte brutal et préféré une sorte d’aide au deuil, quelques indications pour apprendre à continuer de cultiver son jardin, à observer les mauvaises herbes comme les autres, à prendre soin des graines du passé comme de celles à venir…
Ecouter la lecture de la première page de "L'absence de tous bouquets"Fiche #2687
Thème(s) : Littérature étrangère
Parias alterne les récits d’un père et de son fils, deux êtres perdus dans leur douleur, séparés à jamais après un drame. Le père est en prison et s’adresse à sa femme vénérée, aimée, toujours, encore. Ils étaient issus de milieux différents, lui le nomade, elle la fille de la ville. Il était prêt à tout pour elle, alors il tournera le dos à ses origines, renoncera au sable, à la vie d’errance, à son cheptel familial et la rejoindra, inoubliables moments de bonheur partagé. Après le drame, le fils partira rencontrer les dunes mais reviendra rapidement, même pour une vie pauvre et compliquée, sur les lieux de l’enfance, sans vraiment comprendre les évènements et désespéré de ne pouvoir recréer des liens avec son père et sa petite sœur. Un récit sensible et poétique qui, au travers d’un drame intime et des mots d’un père et d’un fils que personne n’entend et qui se perdent dans le désert, dépeint le face à face entre le monde moderne invasif et oppressant et le monde traditionnel des Bédouins.
« ... c'est la dure loi de la vie, l'impitoyable logique des rapports de force, celle que connaissent bien les animaux et les enfants, et que les grandes personnes feignent d'ignorer. »
Fiche #2674
Thème(s) : Littérature étrangère
Ils sont deux couples voisins, deux pavillons proches l’un de l’autre, à proximité d’une forêt et de la nature. Chantal et Guy, Elisabeth et Thierry, le narrateur. Guy et Thierry sont très liés, peu de mots, mais une connivence et complicité évidentes, ils peuvent rester ensemble de longs moments à observer un insecte remonté la tige d’une plante. Jusqu’au matin où Thierry découvre autour de la maison de ses amis des voitures de police, des hommes masqués, casqués et armés. Quand Thierry et Elisabeth apprennent ce qui est reproché à Guy, tueur en série de jeunes femmes, c’est un bouleversement absolu et violent qui traverse le couple. Guy devient l’image du mal et son couple un monstre à deux têtes mais comment n’ont-ils pas pu le voir, le ressentir, s’en douter ? Thierry aurait-il pu arrêter Guy ? N’a-t-il pas une part de responsabilité ? Comment Guy a-t-il pu le trahir et lui mentir à ce point ? Mais devant l’horreur des actes de Guy, ce sentiment puissant de trahison n’est-il pas déplacé ? Culpabilité, colère, chagrin, haine, le couple vacille. Leur maison, leur intimité ont été souillées par ce monstre et sa compagne, est-il possible de l’oublier ? Les tensions du quotidien, les reproches tus, prennent une autre ampleur et Elisabeth s’éloigne. Le lecteur suit Thierry sur son chemin de résilience, il lui faudra passer par une introspection profonde, tenter d’exprimer enfin ses sentiments, les accepter, et surtout revenir sur ses failles (lointaines ou non) personnelles et intimes qu’il niait ou ignorait jusqu’à maintenant pour pouvoir alors retrouver le chemin de la vie. Un portrait bouleversant et inoubliable d’un homme fracassé par le quotidien à la recherche d’une renaissance.
« La fureur du réel fait si mal. »
Fiche #2630
Thème(s) : Littérature française
En cette fin d’année 1985, Noël approche à New Ross (Irlande) et l’ambiance reste morose. Chômage, misère sont le quotidien de beaucoup. Bill Furlong se débat avec sa petite entreprise de bois et de charbon et sa famille (il a cinq filles). Il fournit le couvent voisin et ne prête crédit aux rumeurs qui parlent d’enfants illégitimes, de ventes d’enfants (lui qui n’a pas connu son père), d’oppression… Pourtant suite à un regard furtif, il choisit de savoir, de pousser la porte, de lever le voile, sur ces femmes mais aussi sur ses origines personnelles. Tout en retenue et sensibilité, Claire Keegan dresse le portrait d’un homme, bon, généreux, humain, tendre, héros ordinaire qui saura enfreindre ce que la bonne société et son hypocrisie imposent. Un très court mais intense roman.
« Pourquoi les choses les plus proches étaient-elles souvent les plus difficiles à voir ? »
Fiche #2609
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Jacqueline Odin
Avoir six ans à Beyrouth en pleine guerre civile, une main d’homme pour la maintenir du côté de la vie. La main d’un géant, son père. Dima témoigne de son amour total pour son géant, aux mains protectrices, aux mains qui l’emportent, qui la guident. Ces deux là, même s’ils ne savent pas se le dire, s’aiment profondément avec cette toile de fond terrible. Toujours sur le point de déménager, la famille est en mouvement, presque nomade. Ce père, colosse fragile, est inclassable, étranger aux religions, aux partis, mauvaise herbe dans ce monde qui se déchire donc à la marge, ne pouvant choisir son camp et préférant reconstruire son pays par les mots, en tentant d’estomper les maux, de se rassurer, affirmant toujours que tout va bien. A côté des mots, son seul refuge : les plantes et les arbres. Il lui fait découvrir leur douceur, le lien que l’on peut tisser avec le monde végétal, l’apaisement possible, un monde bien ancré dans la terre, mauvaises herbes ou pas, toujours à protéger, voire les aider à pousser, à grandir vers le ciel, à trouver leur espace de liberté, de vie. Mais la petite sait, sait qu’ils vont être séparés, ressent la souffrance et les angoisses de ses parents. A douze ans, c’est l’exil, la famille, sans le père, rejoint la France, d’autres arbres, une autre vie, une autre langue... L’homme libre les laisse partir pour une nouvelle vie mais ne peut se résoudre à quitter le Liban. Une séparation qui sème la graine de l’écriture de ce superbe roman qui magnifie une relation père-fille avec un arrière plan angoissant, une émouvante histoire d’amour mais aussi de perte.
Premier roman
« La poésie, c’est peut-être ce qu’on écrit quand on n’arrive pas à pleurer comme les autres. »
« Il faut que je mette au point une technique de l’oubli bien plus performante la nuit. »
« On sait que tout est mort quand la colère meurt. Quand la révolte meurt. On sait qu’il n’y a plus rien à faire quand on ne réagit plus, quand il n’y a plus de rage, quand la révolte dépose les armes au pied de la résignation. »
Fiche #2559
Thème(s) : Littérature française
Anna, 48 ans, espionne aux ordres d’une organisation secrète, l’Agathos, vient d’achever sa dernière mission. Dans l'échec, deux morts, des documents perdus, d’autres agents mis en danger... Alors l’Agathos a décidé de la retirer du monde en la protégeant. Peut-être. Elle se retrouve dans l’Annexe avec d’autres collègues inconnus dans un lieu inconnu même si elle pense être à Montréal. Ironie du sort, elle est obsédée par Anne Frank et passait régulièrement des heures dans son Annexe devenue musée à Amsterdam. Alors évidemment les situations n’ont rien à voir, mais le huis clos et le confinement se ressemblent. Comme elle, d’une trahison la mort peut surgir à chaque instant. Et très rapidement, elle se doute de qui sera son bourreau : Celestino, un espèce de majordome qui les a accueilli et gère leur quotidien. Et ce Cubain homo parle, parle beaucoup, parle encore, l’envoûte, l’ensorcelle tel Kaa le serpent hypnotiseur, et notamment grâce à la littérature : « Je déteste les espions incultes », avec Anne, il va être servi et en jouer, il a trouvé son point faible et elle en connaît le danger. Amoureuse de la littérature, elle retrouve le plaisir de lire, de découvrir dans la lecture des amis, des questionnements, des réponses, des rêves… Peut-on en vouloir à son bourreau s’il vous réveille à la littérature (« Je ne craignais même plus la mort grâce à toi, à toi et la littérature. ») ? Elle situe son environnement et ses collègues dans la littérature, elle leur trouve une incarnation, un couple devient les Tourgueniev, le chat devient Moortje, celui d’Anne… Celestino assure ne rien savoir d’elle, il la prénomme Albertine mais il la met en garde aussi « Il faut se méfier de tout le monde. ». Et puis les espions meurent les uns après les autres, Albertine sait que son tour viendra, elle l'accepte, accepte la mort, elle qui l'a tant donnée. Mais avec la littérature tout reste possible, jusqu’au dernier mot. Un roman d’espionnage tendu, érudit mais pas précieux qui rend un hommage singulier à Anne Frank, à la lecture, à la littérature et à ses artisans. Brillantissime !
« Les chimères des écrivains, comme le pire des cauchemars, restent moins éprouvantes que les manifestations détraquées de nos civilisations. »
« L’humain est capable à la fois du meilleur et du pire et, quand les deux s’entremêlent, quelque chose d’extrêmement jubilatoire vient réjouir les pervers que nous sommes. »
« Nos vies sont enfermées dans de petites habitudes idiotes qui nous donnent une personnalité. Ces habitudes ridicules construisent une charpente sur laquelle s’appuient nos faibles raisons de vivre. »
Fiche #2526
Thème(s) : Littérature étrangère
Léviathan veille, va peut-être se réveiller, et la planète le saura. Pourtant, la vie continue. Et un trio représente cette continuité de la vie, dans une amitié sereine, un trio équilibré d’une grande douceur. L’aventure durera un an, ils le savent. Ramona vient en effet d’arriver à Chicago, c’est une jeune professeur londonienne venue pour un an pour enseigner le français. Son regard neuf observe la ville avec une attention particulière et identifie ses failles issues de son histoire. Elle rencontre Jon, garagiste, et Suzanne, esthéticienne, qui lui apportent la lumière et cette amitié mystérieuse, intense, une complicité apaisante qui rompt leur solitude. Ils déambulent chaque semaine dans Chicago, personnage à part entière du roman, au milieu des bâtiments, face au lac, observant la lumière, partagent leur goût pour l’art, la musique, le tout avec peu de mots, mais des regards, des sensations en appréciant à sa juste hauteur le moment présent, les petits instants de plaisir simple mais essentiel de la vie. Délicat, imagé, épuré, doux même si, à chaque instant, l’un de nos actes peut participer au déclenchement du déchaînement de violence du Léviathan.
« En retour, ils lui offrent cette ivresse d’un présent brut, vécu à plein, sans rien sacrifier aux regrets, aux remords, sans non plus se consumer en projets d’avenir. »
Fiche #2512
Thème(s) : Littérature française
L’homme vient dès qu’il le peut dans ce lieu particulier : le cimetière de Paulstadt. Depuis la seconde guerre, il a connu la plupart de ceux qui sont enterrés là. Et il les entend parler, paroles d’hier mais encore aujourd’hui depuis ce banc qu’il s’est accaparé. Alors il devient le passeur de mots, le passeur d’histoires. Chacun va se raconter pour dresser le portrait d’une petite ville par ses habitants, leur destin, des moments de vie furtifs ou pas, leurs aventures, leurs mésaventures, leurs rencontres, leurs vies et leurs morts. Ce collectif simple, modeste, qui fleure bon la douce mélancolie nous démontre que ce qu’il reste d’une vie n'est souvent qu’un instant fugitif, une étincelle de bonheur, un visage croisé, une larme qui peine à tomber, un paysage lumineux, un arbre qui nous attire, un flocon de neige qui s’égare… Robert Seethaler nous émeut dans la simplicité et la modestie, avec sensibilité il met toujours l’homme, l’humanité et la vie au cœur de ses romans, sans artifice, loin des palais et des richesses amassées, notre bonheur n’est pas là, et ses romans font partie des rencontres qui éclairent une vie.
Ecouter la lecture de la première page de "Le champ"Fiche #2456
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Elisabeth Landes
Elles sont parties pour des raisons différentes, elles sont de pays différents, de conditions différentes, de religions différentes et néanmoins, elles se retrouvent toutes les trois unies avec le même espoir, la même envie, le même rêve sur un vieux chalutier en direction de l’Europe, un long voyage d’environ neuf mois pour débarquer en Italie, quitter l’enfer et le traverser pour pouvoir accéder à la paix. La première étape nait dans la décision de partir, de l’exil : un choix douloureux mais réfléchi. Et puis c’est l’immersion dans un autre monde, violent, avide, un monde de trafic où leur humanité niée disparaît. Chochana la Nigérianne et Semhar l’Erythréenne se croiseront puis prendront le même chemin en s’aidant, se soutenant. Elles seront dans la cale du chalutier alors que Dima la bourgeoise syrienne voyage sur le pont pensant pouvoir les ignorer. Même sur le bateau, racisme, domination et violence ne se sont pas éteints. Louis-Philippe Dalembert avec sa si belle écriture décrypte chaque étape du départ à l’arrivée en Europe, il place le lecteur aux côtés de ces trois femmes accompagnées chacune par leur Dieu, le questionne, lui fait vivre cet exil, partager les doutes et les peurs, l’interroge sur ses propres capacités à supporter l’innommable (à quoi sommes-nous prêts lorsque notre survie sera en jeu ?) et montre que face à la violence absolue toutes sortes de réactions sont possibles. Une émouvante et captivante tragédie romanesque à la hauteur de celle qui continue de hanter nos côtes méditerranéennes.
Ecouter la lecture de la première page de "Mur méditerranée"Fiche #2413
Thème(s) : Littérature étrangère
Personne n’a pu oublier l’enlèvement de lycéennes en 2014 par Boko Haram. Edna O’Brien incarne cette terrible histoire dans le parcours de Maryam, une jeune adolescente nigériane. On n’imagine donc plus le calvaire, on le vit à ses côtés : l’enlèvement, les viols à répétition, les mariages forcés, les accouchements, la soumission, la honte et le désespoir, la violence et la mort omniprésentes, le mépris de ces petits hommes minables. Maryam accouchera et pourra s’évader, difficulté ensuite de retrouver les siens, puis impossibilité de retrouver sa place. Cet enlèvement a tout bouleversé, elle et son entourage qui l’accuse d’avoir souillé le sang de la communauté. Aucun pouvoir ne viendra en aide à ces persécutés (« Monsieur, vous n’êtes qu’à quelques pas de moi, mais à des années-lumière d’elles dans leur cruelle captivité. Vous n’y étiez pas. Vous ne pouvez pas savoir ce qui nous a été fait. Vous vivez du pouvoir et nous de l’impuissance. »). Malgré les moments de découragements et de désespoirs, Maryam est une obstinée, elle n’abandonnera pas, ni sa fille, ni elle, et continuera jusqu’au bout à espérer trouver une petite lumière, un espace de vie sereine. Un portrait plus qu’émouvant, qui prend aux tripes, un hommage puissant pour ne pas oublier ceux qui ont subi et continuent de subir les pires atrocités dont l’homme est capable.
Ecouter la lecture de la première page de "Girl"Fiche #2386
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Aude de Saint-Loup, Pierre-Emmanuel Dauzat
Lorsque David propose à Emile rencontré par hasard sur un banc parisien de profiter de la vue exceptionnelle de son appartement sur Paris et sur la Seine, il ne sait pas que sa vie vient à nouveau de basculer en instant. Il sort d’une rupture à Londres avec une femme dont il allait reconnaître Simon son fils. Or avec Emile, il va vivre son homosexualité, et vingt-cinq ans plus tard ils partagent toujours cette vue exceptionnelle et leurs vertiges mutuels. Ils vivent paisiblement leur vie de couple malgré leurs différences, Emile neurochirurgien dans la maîtrise, David mélomane auteur de biographies de musiciens dans l’émotion. Emile sachant que David reste nostalgique voire obsédé de l’instant où il allait devenir père vacille le jour où il voit Simon franchir le seuil de son cabinet. Jean Mattern avec une immense retenue et maîtrise nous parle de ces instants non maîtrisés où en une fraction de seconde nos vies basculent (« Est-ce ainsi, en quelques minutes, que nos vies changent à jamais ? »), des coïncidences étranges qui peuvent les (ré)orienter, d’amour et de paternité, des vertiges de la vie et surtout de belles émotions.
« Rien n’est jamais plus près de nous que nos rêves avortés. »
« Mais certains souvenirs sont tapis dans notre conscience comme ces cancers qui dorment dans nos cellules, avant de se réveiller. »
Fiche #2381
Thème(s) : Littérature française
Le narrateur est un prêtre irlandais d’un petit village qui révèle comment sa vie va être bouleversée par un évènement avec lequel a priori il n’avait aucun lien et par la décision, dans l’instant, qu’il va prendre quand une gamine terrifiée frappe à sa porte. De retour de l’étranger, sa famille est arrivée récemment au village qui l’observe attentivement depuis et reste interdit devant des comportements qu’il juge étrange. La famille s’est en effet installée dans le pavillon du lotissement et en sus de l’atmosphère étrange induit par le lieu lui-même, des faits étranges s’y produisent : l’électricité se coupe, des bruits suspects, des objets disparaissent, avant que les occupants se mettent également à disparaître un à un. La petite est affolée, le prêtre l’héberge mais se sent obligé de prévenir la police et sera donc interrogé. A partir de cet instant, sa vie change de cap. Chacun a son idée, son explication sur cette affaire de disparitions, sur le rôle du prêtre et de la petite. Le temps apportera-t-il peut-être ses explications... Un texte étrange, dans la suggestion, laissant toute liberté à l’imagination du lecteur sans délivrer toutes les clés de l’intrigue.
Ecouter la lecture de la première page de "Rien d'autre sur terre"Fiche #2194
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Mona de Pracontal
Les aéroports sont des lieux particuliers, lieu d’arrivée, lieu de départ, lieu de transit. On y reste quelques minutes, quelques heures, souvent avec de la joie, parfois avec de la tristesse ou de la fatigue. Il peut même nous arriver d’y passer une nuit, inconfortable sur un siège ou un bout de moquette épaisse. La vie ne semble jamais s’y arrêter. Derrière ces passagers toujours en mouvement, mobilisés par leur seule aventure, un autre monde coexiste, un monde qui se fait discret, qui se cache. Des SDF, des sans papiers y trouvent un accueil plus calme et plus avenant que sur les trottoirs parisiens. La narratrice de Roissy est de ceux là. Déguisée en passagère, elle vit d’un terminale à l’autre, également toujours en mouvement pour éviter de se faire repérer et s’invente des histoires, des destinations, une vie. Elle ignore comment elle s’est retrouvée dans ce lieu, sans mémoire, elle ne connait ni son passé ni son identité. Elle nous fait partager son existence, ses compagnons de route, le danger qui les guette, les rituels quotidiens, les nuits, les petits larcins pour améliorer le quotidien, les combines pour passer au travers de la vidéosurveillance... Les journées sont donc bien remplies mais n’empêchent pas quelques souvenirs de surgir subrepticement au détour d’une phrase, d’un mot, d’une vision. Elle continue d’espérer retrouver le chemin de son passé et de sa vie même si les premières images la terrorisent. Un grain de sable brésilien vient bouleverser cette routine : un homme qu’elle a croisé plusieurs fois attendant l’arrivée du vol Rio-Paris l'interpelle. Et contrairement à la règle qu’elle s’est donnée, il lui confiera son histoire et elle acceptera de lui parler puis sa compagnie. Un premier pas vers une renaissance... Un exceptionnel et bouleversant portrait de femme en quête de son passé dans un environnement singulier et avec une palette de seconds personnages tout aussi réussis.
Ecouter la lecture de la première page de "Roissy"Fiche #2189
Thème(s) : Littérature française
Avant que les ombres s'effacent
Sabine Wespieser
27 | 295 pages | 16-04-2017 | 21€
Après le séisme de 2010 de Haïti, le moment est venu pour Ruben Schwarzberg, à plus de 90 ans, de dresser le bilan de sa vie. Sa petite cousine vient d’arriver d’Israël pour aider après cette catastrophe. Il va lui conter sa vie, ses fuites multiples, ses passages en Pologne, en Allemagne, en France, avant de trouver à Haïti un apaisement et une sérénité, sa Terre Promise. Il fit de brillantes études de médecine à Berlin mais connaîtra aussi le camp de Buchenwald. Il prendra le bateau à destination de Cuba qui sera refoulé mais fera partie ensuite de ceux qui seront sauvés par un petit pays, fier et visionnaire (comme il l’avait déjà été à propos de l’esclavage), qui dès 1939, promulguera un décret autorisant les consulats à aider les Juifs qui voudraient rejoindre Haïti. Le vieil homme raconte alors avec calme, reconnaissance et tendresse sa trajectoire, préférant se souvenir en premier lieu de l’humanité de ceux qui les ont aidés et accueillis. Un joli portrait d’un homme contraint à l’exode, une intégration réussie, un hommage vibrant à Haïti terre d’accueil, un rappel historique nécessaire, une écriture toujours aussi poétique et un ton non dénué d’humour, tous les ingrédients sont là pour que l’on dévore goulûment ces ombres !
« Et les Parisiens, c’est connu, sont peu patients avec ceux qui mastiquent mal leur langue, une manière habile, au fond, pour cacher leurs lacunes dans celles des autres. »
« Le passé d’un individu, c’est comme son ombre, on la porte toujours avec soi. Parfois il disparaît. Parfois il revient… Il faut apprendre à vivre avec, à s’en servir au mieux pour avancer. »
« L’être humain s’habitue hélas à tout. »
« Aucun rêve n’est fou, si on se donne les moyens de le réaliser. »
Fiche #1943
Thème(s) : Littérature étrangère
Michèle Lesbre dans ce court texte ou cette longue lettre s’adresse voire se confie à Marion du Faouët, une femme rebelle, fougueuse, libre (« Ta liberté est ta force »), refusant l’ordre établi et insolente donc définitivement à la marge et elle le paiera cher. C’est un regard, une difficulté à créer un lien, une relation (« Elle me refusait le confort de la bonne conscience… la dignité de cette femme était inflexible. »), avec Marion, une jeune SDF aux cheveux roux qui déclenche cette rencontre avec Marion du Faouët mais aussi un jaillissement de ses souvenirs et engagements de jeunesse. Michèle Lesbre en écrivant son désarroi face au monde actuel met clairement en évidence une large passerelle entre les deux époques et hélas, certains points communs comme l’injustice, la pauvreté, la violence de la majorité pensante… Marion était aussi une femme et elle mourut sur le gibet. Un court texte débordant d’humanité et qui nous rappelle que rien n'est acquis, que le "progrès" reste infime et que les luttes pour les libertés restent cruciales et vitales !
« J’ai voulu l’océan. Je l’ai voulu comme une caresse. »
« J’ai d’autres frontières, une autre patrie, celles des belles utopies auxquelles je n’ai pas renoncé et qui excluent le racisme, la xénophobie, la violence, l’irrespect de tout être humain. »
« Tu n’étais pas un ange, mais les anges n’existent pas. »
Fiche #1895
Thème(s) : Littérature française
Notre monde est en train de s’éteindre. Même le ciel est de la partie. Un gouvernement mondial s’est mis en place et feint de continuer de maitriser la destinée de tous. La division de la société a atteint son paroxysme. Les nantis semblent ignorer l’état de la société, se protègent et continuent leurs occupations volages en ignorant les gueux qui occupent les rues, survivent, ont pour la plupart accepté leur destin et attendent la mort (« Ils avaient appris à se voir comme des rats en sursis. Ils ne possédaient aucune légitimité à être. »). Dans ce contexte, Oscar de Profundis, une rock star à l’échelle mondiale, entre la folie et la mégalomanie, arrive à Montréal, la ville qui l’a vu grandir. C’est dans cette ville qu’il a vécu son plus grand drame qu’il n’a pas oublié, la mort de son petit frère. Son entourage, aux petits soins, a réglé à la seconde près, son séjour. Néanmoins, la période est mal choisie ! La maladie noire s’est déclarée dans la ville. Etonnamment, elle n’atteint que les gueux qui meurent dans d’atroces souffrances. Il faut donc attendre qu’elle fasse son travail puis nettoyer la ville ! Ca se complique lorsque l’état d’urgence est déclaré et que quelques irréductibles plutôt que d’attendre la mort en faisant la fête décident de prendre en main leur destin… Catherine Mavrikakis grâce à deux portraits extrêmement contrastés nous livre un conte apocalyptique noir qui décrit un monde en perdition qui a abandonné toute ambition d’humanité.
« Leur destin était de disparaître. Contre eux, il n’y avait pas à signer de déclaration de guerre ou encore à fomenter à la hâte quelque holocauste. Il suffisait de laisser la vie aller. Les plus faibles se trouveraient éliminés avant la fin du monde. C’était la loi. Le ciel absent, occupé à s’éloigner de la Terre, en avait décidé ainsi. »
« Les touristes avaient afflué : en voyage, l’encanaillement et le danger acquièrent un attrait incomparable. »
« Trois ou quatre immenses compagnies géraient l’ensemble des ressources de la Terre en diversifiant leurs marques de commerce pour que les populations nanties n’y voient que du feu. Les êtres qui ne pouvaient s’accommoder de cet état de choses étaient devenus des parias ou des fous… »
« L’uniformité et l’homogénéité des esprits et des corps étaient les garanties de la stabilité de l’Etat. »
« … elle pensait, malgré ses études de médecine, sa culture humaniste d’autodidacte et sa foi dans la raison, que des heures meilleures, si elles voyaient le jour, devraient passer par l’horreur apocalyptique qu’elle et les siens connaissaient. Dans les derniers temps, la fin du monde était devenue l’unique espoir pour un être comme Cate. »
Fiche #1829
Thème(s) : Littérature étrangère
A la fin du XIX ème, en Géorgie, deux gamins, deux Joseph, partagent les mêmes airs de jeux dans les rues de Gori. L’un est l’arrière-grand-père de Kéthévane Davrichewy et l’autre, que l’on surnomme Sosso, deviendra Staline. Les deux gosses se ressemblent, amis un jour, rivaux le lendemain, affrontements physiques comme intellectuels. L’auteur dresse le portrait de ce duo mais aussi de la Géorgie d’alors. Les gamins grandissent et prennent des chemins différents, Sosso part au séminaire et Joseph au collège où il rencontrera son premier véritable ami Lev Rosenfeld futur membre du triumvirat soviétique avec Staline. L’aventure de la vie mènera Joseph, qui continuera d’espèrer en une Géorgie indépendante, jusqu’en France où il refusera toujours de rejoindre Staline. Des questions restent sans réponse : qui était vraiment Joseph pour Sosso ? Qu’aurait accompli Joseph aux côtés de Sosso ? Le portrait de cet homme seul, incapable de se livrer, courageux, doutant toujours, fidèle à ses premiers engagements et convictions (« Moi je voudrais simplement faire quelque chose pour la Géorgie, qu’on y vive mieux, qu’on nous laisse être Géorgiens. ») permet aussi à l’auteur d’établir un pont entre ce grand-père et son père. Kéthévane Davrichewy plonge dans son histoire personnelle en mêlant avec succès la petite et la grande histoire ; elle dresse avec sa belle écriture un portrait attachant, nous parle de transmission et de non-dits dans une enquête aussi intime qu’historique.
« L’héroïsme se transforme en crime, et le crime en héroïsme selon la comédie que jouent les hommes… »
Fiche #1770
Thème(s) : Littérature française
Anwar Sadat a été sauvagement assassiné et son assassin arrêté immédiatement. Il s’agit de son voisin, le jeune Margio. Il ne nie pas avoir participé à ce meurtre, mais selon lui, il n’en est pas l’auteur, il s’agit en effet du tigre qui en lui, dans son corps. Depuis quelques temps, il se sait habiter par ce fauve qu'il tente depuis de réfréner et dompter. Seuls quelques indices le trahissent comme des yeux et un regard bien singuliers. Mais cette fois, lors de sa dernière rencontre avec Anwar Sadat, il n’a pas eu le temps de le stopper, le fauve a jailli comme un éclair, en effet Anwar a commis l’irréparable, trahir la mère de Margio ! Pour expliquer ce destin, Eka Kurniawan décrit le quotidien d’une famille indonésienne, du mariage de ses parents jusqu’à la mort prématurée de sa dernière petite sœur qui plongera sa mère dans un abîme dépressif, en passant par son amour impossible pour la belle Maharani, fille de Anwar Sadat. Au cœur de ce conte tragique, Eka Kurnawan place naturellement l'amour extrême d'un fils pour sa mère et le destin dramatique de deux familles mais nous parle aussi en miroir, de manière vivante et imagée, du quotidien de son pays, l’Indonésie.
Fiche #1687
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Etienne Naveau
Robert Seethaler nous emmène à la rencontre d’Andreas Egger dont nous allons suivre pas à pas la vie entière. Andreas est un homme que l’on n’oublie pas. De la lenteur, peu de mots, et pourtant ! Pas de long discours pour le décrire, seulement un regard, un regard sur ses mains, Andreas fait en effet partie des hommes que leurs mains décrivent, une vie de labeur sans plainte, éprouvante et acceptée, mais qui n’empêche pas quelques espoirs et quelques instants de bonheur. Portrait bouleversant et attachant, tout en retenue, débordant d’émotion qui se lit d’une traite.
« Les cicatrices sont comme les années, se disait-il, elles s’accumulent petit à petit, et tout ça finit par faire un être humain. »
« Alors qu’un homme selon lui devait élever son regard, pour voir plus loin que son petit bout de terre, le plus loin possible. »
Fiche #1676
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Elisabeth Landes
L’auteur remonte le temps et part à la rencontre de son père, un « corps immense » qui, un jour dans l’année de ses trois ans, s’imposa à elle et à sa mère. Le couple est alors loin de partager une vie harmonieuse, « …leur couple n’était qu’un pur et malheureux hasard. » Le père est mort jeune, trop jeune et une distance a toujours existé entre eux. Elle aimerait comprendre, comprendre les silences, les non-dits, rencontrer vraiment cet « intime étranger ». Elle revient, sans se presser, sur ses souvenirs, sur les lieux qui réveillent et stimulent sa mémoire. Comme une péniche qui remonte tranquillement un canal, « Chemins » est une balade à l’atmosphère feutrée, tendre et douce, débordant d’images et d’odeurs, au cœur d’une nature apaisée. Superbe escapade poétique !
« Ce jardin me parlait de ça, de ce qui se transforme, de ce qui se perd, de ce qui manque sans que nous y prêtions attention, ou alors trop tard. »
Fiche #1601
Thème(s) : Littérature française
Amours. Histoire d’amours. Amours dépassant les différences, les milieux sociaux et leurs conventions, les habitudes. Nous sommes au début du vingtième siècle. Deux femmes vont se découvrir et s’aimer en dépit du mépris et de la violence des hommes certains de leur puissance et supériorité, en dépit de l’église toujours prête à détruire des vies pour protéger son influence et maintenir son pouvoir, en dépit de la peur des corps partagée par toutes et tous. Victoire a épousé un notaire, Anselme de Boisvaillant, presque par hasard, ils habitent en 1908 une maison bourgeoise dans le calme de la campagne du Cher. A leur service, Céleste, petite bonne de dix-sept ans, est enceinte, et pas par hasard... En couple depuis cinq ans mais sans enfant, Victoire, se sentant vide et inutile, décide Céleste à lui confier son enfant. Un enfant enfin pour elle, elle seule. C’est ainsi que Victoire et Céleste se trouveront, se libèreront, découvriront leurs corps et leurs désirs, s’aimeront mais aimeront aussi cet enfant partagé. Ces amours aussi puissants soient ils pourront-ils résister au poids des conventions et de la religion ? Le style est précis et le roman bouleversant.
Ecouter la lecture de la première page de "Amours"Fiche #1578
Thème(s) : Littérature française
Après une tempête extrême, une jeune fille est retrouvée sur une plage. La rescapée libère sa parole et en appelle aux dieux du vaudou et aux ancêtres. Deux familles d’Anse Bleue se croisent, se déchirent au fil des générations qui partagent une haine persistante. Les Mésidor, riches, seigneurs des lieux, sans scrupule et les Lafleur, pauvres, qui ont toujours vécu à Anse Bleue, zone sans justice, sans règles, seules les traditions et l’attachement à la terre les réunissent. Les rapports entre les familles sont en effet désastreux même si parfois l’amour s’en mêle et brouille les cartes. Bain de lune est donc une saga familiale mais aussi évidemment un roman sur Haïti et son histoire, sur le pouvoir représenté par l’homme à chapeau noir qui ne recule devant rien pour prolonger son règne et asseoir son pouvoir (ses successeurs suivront le même chemin), sur les croyances et l’imaginaire qui permettent parfois d’échapper temporairement à ce quotidien lourd et violent mais le réel rattrape rapidement le fugitif… Une pure tragédie haïtienne !
Ecouter la lecture de la première page de "Bain de lune"Fiche #1523
Thème(s) : Littérature étrangère
Marjorie a fait de brillantes études, maîtrise totale, parcours parfait, maintenant au service d’un ministre. Elle a rejoint le camp des puissants, froide et cynique, « Mon rang, c’est celui que je prends. Eh ! Je ne fais qu’exécuter ce que j’ai appris… Plus on me saccage, plus je suis méchante et plus on me respecte. » Un monde très éloigné de son enfance, une enfance dont la seule marque visible est une vieille cicatrice laissée par des barbelés. Néanmoins Marjorie, la petite fille qui ne voulait pas grandir et rejoindre le monde des adultes cache d’autres blessures non cicatrisées, le manque d’amour et d’attention de ses parents, les histoires que lui racontaient sa mère… et un soir, sur la route du retour car sa mère l’a appelée lui demandant de venir au chevet de son père en train de mourir, sa voiture heurte le seigneur du bois, un grand cerf, dont elle recueille les derniers râles. A cet instant, sa vie bascule, cet évènement va la terrasser, remettra en question toutes ses certitudes et fera remonter à la surface son passé. Une violence feutrée accompagne ce premier roman-conte ambitieux à l’écriture ciselée et à la construction singulière.
Premier roman
Fiche #1500
Thème(s) : Littérature française
« La ballade d’Ali Baba » est un hommage d’une fille à son père. Un père libre, insouciant, amoureux de la vie, hâbleur, et qu’elle continua d’aimer et d’admirer malgré ses mensonges. Vassili parcourut le monde, de Rhodes à Alger, d’Alger à New York : « Vassili aimait les gens et les lieux. Pas les pays. » A l’image de son caractère, elle n’oubliera jamais le réveillon de 1969 et le voyage insensé avec sa Buick en 1969 qu’ils firent avec ses deux sœurs, du Canada à la pointe de Key West. Ils s’éloignèrent, mais jamais ne se quittèrent, et même après sa mort, elle pouvait encore le rencontrer.
Ecouter la lecture de la première page de "La ballade d'Ali Baba"Fiche #1483
Thème(s) : Littérature étrangère
Après une longue période d'éloignement, une fratrie de quatre se retrouve entre les murs de leur enfance, « Ils se tiennent aux quatre coins de la pièce. » « Ces murs nous ont façonnés, nourris, portés. Tu imagines parfois notre vie, sans Somanges ? Je repense à nos rires, notre complicité, nos disputes, ces petits riens du quotidien qui ne laissent de trace qu’à l’intérieur. ». La mère les a convaincus de venir, il faut débarrasser, vider la maison, elle ne peut y demeurer seule. Chacun se retrouve, la parole évoque le passé, discrètement, avec moult sous-entendus. L’héritage futur est même évoqué. Pourtant, deux ans plus tard, rien n’a évolué, ils se retrouvent en Grèce, chez l’aîné revenu dans leur pays d’origine. Chacun prendra la parole, l’objectif le fixera, le dévoilera petit à petit : sa relation aux autres, les souvenirs, comment s’est-il construit sur l’histoire de cette famille, ses différences, sa fragilité, sa colère. Entre douceur et violence, l’image de chacun se construit page après page, devient nette malgré une tension permanente, il y eut connivence et fusion puis rupture, le lien s’est brisé et le passé demeure inscrit en eux (« Tu l’as dit, c’est inscrit en nous, on ne se débarrasse pas de son passé. ») mais si la parole se délie, ils repartiront peut-être plus libres et légers… Ce court roman choral au style parfait se lit d’une traite et aborde avec justesse le poids de la famille qui impose souvent à chacun sa place (« J’ai tenu le rôle qu’on m’avait assigné. »), sa manière d’être (« Les habitudes familiales doivent-elles cesser à un certain point de notre existence ? Le peuvent-elles ? Ou faut-il renoncer, prendre de la distance au risque de se perdre ? »), le poids et le venin des silences, et glisse quelques vérités sur la culpabilité, l’enfance, l’éloignement, la solitude et l’émancipation.
Ecouter la lecture de la première page de "Quatre murs"Fiche #1411
Thème(s) : Littérature française
Josie est une vieille dame qui mène une vie de solitude dans une maison isolée au cœur de la campagne irlandaise (superbement décrite par Edna O’Brien). McGreevy est un homme traqué, clandestin en fuite, il appartient à l’IRA. Il se réfugie dans la maison de Josie. Face à face étrange, ambigu, tendu. Josie se confie progressivement, revient lucidement sur son mariage, sur son mari violent, ses amours fantasmés. Elle ne comprend pas McGreevy et son engagement, elle osera une question, puis deux, le dialogue se noue et les deux se rapprocheront l’un de l’autre malgré leurs différences, la tension et la peur partagée. Dans ce roman à la construction singulière et à l’écriture accomplie, Edna O’Brien excelle encore une fois pour nous parler sans retenue ni parti pris de l’Irlande (« Terre si vieille et hantée, si affamée et repue. »), des femmes, des luttes et des convictions menant souvent au sacrifice, de la fraternité et de la haine, du poids de l’histoire, de la religion et de la violence sur les destins individuels.
« Cette façon qu’avait le soldat de croire qu’ôter la vie à un Anglais compenserait des siècles d’injustice, mais comment cela pourrait-il ? »
« Quand nous ôtons la vie, nous crions d’une certaine voix, et quand nous perdons la vie nous crions d’une autre voix. »
« Oui, les fils sombres de l’Histoire formaient boucle sur boucle, les enserrant peu à peu dans ses rets, elle et les gens comme elle - pris au piège. »
Fiche #1394
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Jean-Baptiste de Seynes
Une jeune femme s’apprête à rejoindre son amant dans un hôtel du bord de mer. Encore sur le quai de métro, rêveuse, elle y est déjà. C’est alors qu’un vieil homme la fixe un bref moment, interrogatif et serein, il lui sourit, se retourne et se jette sur la voie. Le choc est immense, bouleversée, elle se lance dans une errance sans fin dans les rues de Paris par cette nuit d’orage et de pluie. Enfermée dans ses interrogations le temps de l’explosion de cette orage, elle revient sur son histoire mais aussi sur celui de cet anonyme : pourquoi a-t-il croisé sa route, par hasard, vraiment ? Pour le savoir, elle se retourne sur son passé, sur notre passé, pour tenter d’identifier les évènements historiques ou intimes qui ont influé sur leur existence, qui les ont amenés sur ce quai, à cet instant précis. Saura-t-elle abandonner cet homme et s’affranchir de cette rencontre ? En un instant la mort et l’amour se sont heurtés, et l’auteur revient sur ses rencontres amoureuses. Elle ne pourra pourtant trouver les mots pour expliquer à son amant, photographe de l’éphèmère, les raisons de son retard et de son absence à leur rendez-vous. Un roman aussi dense que succinct avec l’écriture minimaliste et précise de Michèle Lesbre, son extrême justesse dans les descriptions, son art de décrire un monde qui bouge et qui gronde tout en donnant l’impression de calme et d’immobilisme mais aussi son extrême aptitude à installer une atmosphère très personnelle que l’on retrouve avec tant de plaisir de livres en livres.
Ecouter la lecture de la première page de "Ecoute la pluie"Fiche #1284
Thème(s) : Littérature française
Elles ont seize ans en 1981. Elles ne se quittent pas (« Ton amitié faisait rempart. La mienne te suffisait »), partagent tout de leur vie autocentrée, les larmes, les rires, les pleurs, les amours, la musique, la littérature... Amies pour toujours ? Cécile et Alice, trente ans plus tard, reviennent sur ces moments qui marquent la fin de l’enfance et l’adolescence et le passage dans le monde des adultes. La relation fusionnelle a pris fin, maintenant éloignée l’une de l’autre, chacune présente son parcours. Même très liées, même si l’on croit tout pouvoir dire, des silences et non-dits persistent et ont en effet participé à leur séparation. Mais l’amitié ne s’oublie pas et ces moments demeurent gravés à jamais. Peut-être espèrent-elles les retrouver à l’âge adulte ? Ces instants de complicité, « la sensation de pouvoir tout dire », ces confidences intimes, à qui les confier maintenant ? Kethévane Davrichewy place l’amitié au centre du roman et dissèque à la perfection avec une écriture précise et musicale la fin de l’adolescence mais aussi les effets du temps qui passe.
Ecouter la lecture de la première page de "Les séparées"Fiche #1271
Thème(s) : Littérature française
Les derniers jours de Smokey Nelson
Sabine Wespieser
12 | 345 pages | 08-08-2012 | 22€
Le 15 août 2008, quatre destins basculent définitivement. Smokey Nelson assassine atrocement dans un motel des environs d’Atlanta une famille de quatre personnes (les parents et deux jeunes enfants) faisant une halte sur le chemin qui les mène vers leurs parents. Les quatre voix hétérogènes reviennent sur cet évènement et ses dramatiques conséquences. Sidney Blanchard, noir comme Smokey Nelson, fut accusé un temps du meurtre et emprisonné. Nous le découvrons sur la tombe de Jimi Hendrix (né le même jour que lui) au départ d’un long voyage dans sa superbe Lincoln Continental blanche de 1966 accompagné de sa protégée Betsy ; il part à la rencontre de la Nouvelle-Orléans terre de son enfance que Katrina a transformée. Le discours est vif, imagé, souvent singulier mais rempli de bon sens. L’homme n’a pas oublié qu’il a frôlé le couloir de la mort, et qu’il ne doit sa survie qu’à Pearl Watanabe qui a découvert les corps le soir de l’assassinat. Elle croisa l’assassin et persista à affirmer que Sidney n’était pas l’assassin. Elle demeure encore interdite sur le fait que Smokey l’épargna. Plusieurs mois plongée dans le silence, elle ne retrouva un semblant de vie qu’en repartant sur son île, à Hawaï. Mais parfois les coïncidences… Elle accepte enfin de revenir dans la région d’Atlanta pour séjourner quelques temps chez sa fille au moment où l’exécution de Smokey est annoncée… La quatrième voie est la voie divine, celle qui accompagne depuis toujours Ray Ryan, le père de Sam, la maman assassinée. Cette voie le guide vers l’apaisement, même s’il part avec son fils Tom, membre des Combattants de Dieu pour assister à l’exécution tant attendue. Ils abhorrent cette Amérique contemporaine qu’il juge décadente et seule la parole de Dieu peut les sauver de l’enfer. Catherine Mavrikakis réussit un brillant et noir récit sans porter le moindre jugement sur l’acte lui-même aussi atroce qu'il fut, sur le ressenti de ces quatre voix de l'Amérique marginale, sur leurs tentatives de survie pendant 20 ans, elle dresse simplement en creux un portrait d’une Amérique qui tangue dangereusement. Du grand art !
« Moi, même en mourant, j’espère rigoler. Oui, je veux rire en crevant… C’est un peu la seule liberté, non ? Tu crèves, t’as pas le choix, mais au moins tu peux te marrer un peu… »
« Je suis juste un homme de trente-huit ans, bien banal. J’essaie de me donner du bon temps, en attendant la mort, qui vient toujours trop tôt… J’ai pas d’idéal, pas de destin… »
Fiche #1164
Thème(s) : Littérature étrangère
« Le meilleur des jours » est l’hommage d’une fille à son père, un père exceptionnel. Dès sa naissance, il se fit remarquer. Prématuré, tout le monde le donnait pour mort. Miraculé, il fut nommé Behrouz, ou le meilleur des jours en persan. A sa mort, sa fille entreprend de retracer son parcours : personnage hors du commun, plein d’esprit, cultivé, épris de justice et de liberté, idéaliste et excentrique, toujours le rire aux lèvres qui ne trouvera jamais vraiment sa place dans la société. Combattant le salariat, il ne travaillera jamais: « Karl Marx et mon père avaient un point commun : ils ne travaillèrent jamais pour gagner leur vie. "Les vrais révolutionnaires ne travaillent pas", affirmait mon père. Cet état de fait lui paraissait logique : on ne pouvait œuvrer à l’abolition du salariat et être salarié – c’était incompatible. »
. Arrivé en France il poursuit des études (thèse sur l’œuvre de Karl Marx) qui resteront inachevées, il est vrai que l’ambition était grande, il pensait y trouver « la cause originaire de l’inégalité entre les hommes » et qu’alors « le monde deviendrait meilleur ». En 1979, il vit donc en exilé les évènements d’Iran qui installent la République islamique et accueillent les Iraniens qui fuient leur pays. Le récit élargit alors ses portraits à une série de personnages, souvent exilés, qui font des allers-retours en Paris et Téhéran et passent raconter leurs périples à la famille. Un saisissant portrait plein d’esprit, de lucidité, d’amour d’une fille envers son père vénéré, personnage atypique et attachant.
Premier roman
Fiche #1138
Thème(s) : Littérature française
Nestor est obèse et solitaire, différent, en marge. Seul dans sa maison, son seul horizon de survie est la photographie d’un phare rayé de rouge et blanc du bout du monde, icône de son enfance, de son passé. Argentin, la dictature l’a poussé à l’exil (« Partir, c’était moins douloureux qu’être parti »). Il retrouve en France Mélina avec laquelle il se marie, a une fille, une vie douce que viendra achever un drame terrible. Mélina est maintenant à l’hôpital où se rend chaque jour Nestor. Chaque visite est une incursion dans le monde des vivants avec son corps comme frontière, forteresse, barrière et refuge, ce corps à la fois enveloppant et à côté de sa vie. Une jeune femme médecin terriblement seule l’aide et tente d’apaiser tous ses moments douloureux, entraide de deux êtres différents face au monde, à la norme, toujours entre la vie et la mort. Avec patience, un lien se crée entre eux, deux errances qui s'unissent face au monde des vivants. Clara Dupont-Monod dresse le portrait attachant et inachevé d’un homme en marge en laissant singulièrement le lecteur responsable de sa fin.
Fiche #966
Thème(s) : Littérature française
Allan est écrivain et n’a pas revu son père depuis des années. Dans ses romans et pièces, il mène une attaque en règle de ce père, instruit un procès à charge avec constance et insistance. Alors que le Danemark s’apprête à rentrer en guerre face à l’Irak, il apprend sa mort et envoie finalement un billet avec ses sincères condoléances. Emue, sa mère l’appelle et le convainc de revenir sur les lieux de son enfance… Retrouvailles avec une famille déchirée où les silences, mensonges, et autres manipulations ont meurtri définitivement les parents et les enfants. De retour, Allan découvre que son père se préoccupait de son parcours, cet homme abhorré l’aurait-il finalement aimé malgré sa perversité ? Allan se met à enquêter sur son père, sa mort, découvre des évènements curieux, un comportement singulier de sa mère, remonte dans l’histoire de ce couple qui semble s’être mutuellement manipulé, annihilé, et enfin détruit consciemment semble-t-il. La vérité n’existe pas dans cette famille ou si elle existe, elle disparaît, étouffée par une multitude de mensonges. Un terrible et noir portrait sans aucune retenue de la perversité des familles, "familles, je vous hais !".
Fiche #915
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Caroline Berg
Vincent Borel retrace une partie de notre histoire à travers celle du couple formé par Antoine et Isabelle, en réalité Antonio et Isabel. Il suit de front les trajectoires d’une famille espagnole exilée en France et d’une grande famille bourgeoise et industrielle lyonnaise, deux mondes qui se croisent dans leur quotidien et impliqués dans la même Histoire. Evidemment le comportement pendant dans la seconde guerre mondiale des grands industriels plus préoccupés par leurs intérêts et la préservation de leur puissance est loin des engagements et rêves des républicains espagnols. Chacun sa vie, chacun ses choix…
Fiche #806
Thème(s) : Littérature française
La grand-mère de la narratrice vient de décéder au Liban en 2006. Avant de repartir en France, elle quitte les « corbeaux » et leurs condoléances pour s’isoler dans un petit boudoir. Elle aimait par-dessus tout sa grand-mère et parmi les carnets, courriers et autres notes de celle-ci, elle la découvre, redécouvre, elle la retient, la prolonge. Sa grand-mère d’origine arménienne a perdu son mari à 31 ans et lui a fait vœu de fidélité comme elle est restée fidèle à sa maison malgré les pressions : une maison située entre Beyrouth est et Beyrouth ouest au centre d’un Liban si multiple. Comme cette maison, cette femme est demeurée ouverte, attentive aux autres quelque soit leur camp, leurs origines. Elle est continuellement restée fidèle à elle-même, sans concession, libre et a aidé sa petite fille à tenter d’acquérir sa liberté dans sa vie personnelle (« Se libérer est aisé. C’est rester libre qui compte. Droit devant c’est un mur. »). Un brillant et brûlant hommage à une femme libre marquée par l’Histoire, représentative d’un Liban ouvert et tolérant, elle respectera ses convictions sur les hommes et sur la vie sans jamais se soucier des conséquences au sein d’un Liban perpétuellement torturé.
Fiche #697
Thème(s) : Littérature étrangère
Amy a vécu son adolescence à Bay City ville du Michigan représentative de la vie américaine. Elle partage son existence principalement avec sa tante, son oncle, son cousin, sa mère et son frère. Les deux sœurs sont venues pour trouver une nouvelle vie et quitter l’Europe et son histoire à l’issue de la seconde guerre. Juives polonaises, le passé familial est lourd pour ces deux survivantes. Il marque aussi Amy qui peine à accepter sa vie et même sa présence sur terre (« On n’en finit jamais de la honte d’exister… On voudrait demander vengeance pour la vie. Mais à qui ? »). Amy aurait pu être une adolescente comme les autres mais ce passé accompagné de ses tristes fantômes comme le ciel gris de Bay City l’entraînent sur des voies différentes. Les chapitres alternent entre le présent d’Amy et les jours de 1979 qui vont marquer à jamais son destin mais à tout instant, il s’agit pour Amy de combattre la malédiction familiale et d’en finir enfin avec son passé, mais peut-on gommer d’un trait son histoire personnelle ?
Sélection Prix Page des Libraires 2009
« Mon existence pourtant m’a été pénible. Et la mort inéluctable ne saura que m’apaiser. Chaque matin de ma vie, tout est à recommencer. Je n’ai jamais acquis, comme tant d’autres l’ont fait, la confiance dans le jour. Le matin, je n’ai jamais su si je verrais le soleil se coucher au loin dans le désert, et le soir, dans mon lit, au moment de m’endormir, je n’ai jamais pensé que demain m’apporterait un jour tout neuf, rempli d’espoirs et de nouveautés. Pour moi le quotidien est resté folie. Les jours se sont accumulés sans m’apporter la moindre foi en eux. »
Fiche #614
Thème(s) : Littérature étrangère
Un texte bref constitué de quatre parties pour percer un personnage hors du commun : Lester est géomètre et poète, beau et séduisant, aimant les femmes, sachant charmé avec un détachement inouï, menteur invétéré. Lester exerce sur son entourage une véritable fascination. Quatre chapitres pour tenter de cerner ce personnage atypique : une naissance où la mort rode projetant un destin tragique ; un collègue entre ami et amoureux, fasciné, qui désire attiré son attention mais Lester préfère l’extraordinaire, les poètes, les artistes en marge, la lie (« Lester dit qu’être trainé dans la boue – c’est bien ce qu’il a dit ? – était une façon de se rendre à soi-même reconnaissable ») et Clay ne pouvant s’immiscer dans la vie de Lester provoque son suicide ; sa maîtresse Sarah découvre une nouvelle facette de l’homme qu’elle a aimé, adulé plus que tout sans qu’elle puisse se réfréner, elle va revivre par saccades les moments qu’ils ont partagés, sans ombres et sans mensonges ; enfin, dans la dernière partie, Lester se livre ou plutôt livre ses réflexions souvent philosophiques sur sa vie, sur lui, sur les autres… Un texte au style travaillé qui offre en miroir sur fond d’amour et de mort le portrait d’un homme épris d’absolu.
Premier roman
Fiche #612
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction :
Dominique Goy-Blanquet
Modiano a laissé quelques traces sur une plage du sud-ouest que Michèle Lesbre empreinte dans ce court roman avec sa prose toujours aussi travaillée et dans une ambiance plus « modianesque » que jamais. Un homme est assis sur une dune et regarde le feu, un feu qui embrase une maison, qui pourrait être « la Villa triste ». Une femme passe par là et intriguée, elle s’assoit à côté de l’homme. Entre la mer et le feu, les mémoires ne peuvent que s’épanouir. Chacun expose son passé, ses rencontres, ses rêves (« Si les rêves ne s’étaient pas réalisés, ils n’en étaient pas moins, comme l’enfance, plus grands que la réalité »), sans retenue. Les fantômes de l’un appellent les fantômes de l’autre dans une conversation éternelle : « Les fantômes ne meurent jamais ».
« On croit que les histoires se déroulent avec une sorte de logique, un début et une fin, on fait semblant de ne pas savoir qu’elles sont là toutes entières depuis le début, avec le commencement et leur chute ».
Fiche #558
Thème(s) : Littérature française
Gabriel, le narrateur, a passé son enfance près de Bar-sur-Aube. Il est d’origine hongroise, mais que sait-il de ses origines, de son histoire ? Rien, pratiquement rien. Ses parents ont toujours choisi le mutisme et refusé de lui en parler ("C’est du passé tout ça"). Puis, un jour, peut-être irrémédiablement, la question devient plus pressante et l’arbre veut connaître ses racines. Pourquoi ses parents ont-ils gommé cette histoire familiale d’Europe centrale ? Quelle était la confession religieuse de la famille alors qu’on lui a interdit de suivre ses camarades au catéchisme ? Est-ce lié à la mort accidentelle et soudaine de sa sœur qui a plongé ses parents dans le silence ? Comme un défi et pour se sauver, Gabriel, lui qui ne saura jamais être « celui qui reste », choisit a contrario les mots et les langues. Pour brouiller les pistes de ses origines, pour adopter une identité inconnue ou des identités, il choisit de passer d’une langue à l’autre, de nier toute langue maternelle, il sera traducteur. Ces mots qu’il ne peut prononcer à propos de la disparition de sa sœur : quand le traducteur recherche constamment Le mot idoine, peut-il trouver celui qui qualifiera cette disparition si injuste ? Comment verbaliser l’impossible, l’inqualifiable ? Ses parents choisissent la fatalité, l’impuissance « Dieu a donné, Dieu a repris », six mots irrémédiablement associés à l’histoire de Gabriel et de sa famille. Il croit un moment avoir trouvé la solution dans le rire de Laura. Mais le jour où elle lui annonce qu’elle est enceinte, la question des origines rejaillit subitement et lourdement. Il prend la fuite pour se comprendre, se trouver, dans le présent et dans le passé. Ce récit constitue le questionnement émouvant de cet homme fragile en quête d’origine et d’identité et qui devra peut-être uniquement se résoudre à « réécrire une histoire dont toute ma famille avait voulu me priver »
Premier roman
Fiche #445
Thème(s) : Littérature française
Rosie, cinquante-cinq ans, célibataire, sans enfant, est Irlandaise et a parcouru le monde depuis de nombreuses années (« Ce que je cherchais dans le voyage, c’était le mouvement lui-même. Il s’agissait d’avancer, envers et contre tout, vers des abris temporaires où le bonheur est possible ») mais elle ressent aujourd’hui le besoin de revenir sur les lieux de son enfance (Kilbride) où elle retrouve son univers inchangé et Min et ses amis avec quelques années en plus. Min, sa vieille tante (70 ans), l’a élevée avec son père à la mort de sa mère. Rosie ne connaît pas grand-chose de son histoire familiale. Min est également vieille fille et sans enfant. Elle se laisse un peu aller, est quelque peu dépressive et alcoolique. En parcourant des ouvrages pour tenter de l’aider, Rosie découvre des livres concernant le développement personnel, se dit qu’elle connaît bien les questionnements des cinquantenaires et envisage d’éditer un livre sur le sujet. Pour cela, elle contacte un ami irlandais émigré aux Etats-Unis impliqué dans le monde de l’édition. Pour aller le voir, elle se voit obliger de laisser Min dans une maison de repos. Mais Min ne supportant pas cette nouvelle vie rejoint Rosie aux Etats-Unis et c’est une révélation. Min revit, a des projets, des amis, retravaille et décide de rester aux Etats-Unis. Rosie s’en inquiète mais repart en Irlande où elle prend possession d’une vieille maison familiale isolée sur la côte irlandaise dont elle tombe amoureuse. Epaulée par ses amis, elle la remet en ordre et s’y installe. Mais même si elle tente d’y retrouver ses racines (sa mère et sa tante alors enfants ont vécu dans ce lieu), il est aussi particulièrement propice aux diverses interrogations qu’une femme de 55 ans célibataire et sans enfant peut se poser… Les personnages de Nuala O’Faolain sont terriblement attachants et les thèmes abordés sont multiples, toujours traités avec humanité (le ton est souvent joyeux malgré les doutes existentiels des personnages) et certainement proches de l’auteur (décédée à 68 ans en mai 2008) : le temps, vieillir et l’acceptation de son âge, la solitude, l’enfantement, la filiation, l’amour, la séduction, la famille, l’amitié, les rapports intergénérationnels, et non le moindre le bonheur ! Rosie et Min forment vraiment un couple singulier, très vivant et particulièrement attachant.
« De toute façon, je ne vois vraiment pas pourquoi on se donne tant de peine. On déploie mille ruses pour affronter le vieillissement, et quel est le résultat ? On meurt, c’est tout »
« Mais qu’est-ce que tu fais de l’amour ? n’ai-je pas pu m’empêcher de crier. Qu’est-ce que tu fais du désir ? Je n’arrive pas – j’ai beau essayer, Peg, je n’arrive pas à admettre que le monde me considère comme finie alors que je me sens encore en pleine vie. »
Fiche #450
Thème(s) : Littérature étrangère
Traduction : Judith Roze
Premier roman d'une jeune libanaise ayant déjà publié des recueils de poésie. L'histoire se déroule à Beyrouth en 2005 alors que les manifestations se succèdent. Une jeune femme se rend à un casting et l'ouvreuse exige qu'elle laisse son ombre au vestiaire pour mieux appréhender le rôle. Le metteur en scène souhaite qu'elle soit dépouillée de tout et lorsqu'elle reviendra après avoir obtenu le rôle, il aura disparu. Les gens ne font que passer : "Tout le monde s'était volatilisé dans la rue. Avec la foule. Ils manifestaient pour qu'on leur rende la vérité". L'atmosphère est étrange. Elle accepte pourtant de jouer, sans scénario, sans décors mais devant un public toujours plus nombreux. Elle sort des ombres d'une armoire, ombres de femmes qu'elle met en scène avec force et émotion en s'incarnant en elles. Elle nous fait découvrir sa mère qui aurait préféré un fils puis Yolla l'avaleuse d'hommes, Greta violée à 16 ans, Lena serveuse d'un bar, Mona femme battue qui cherche à s'extraire de sa condition. Des destins de femmes dans un monde masculin qui dressent un tableau de la société libanaise contemporaine où les femmes (entre autres) trouvent difficilement leur place. Une découverte.
Premier roman
Fiche #176
Thème(s) : Littérature étrangère
- Desbiolles - Dalembert - Seethaler - Desbiolles - Froidevaux-Metterie - Lesbre - Jollien-Fardel - Davrichewy - Keegan - Seethaler - Carson - Dalembert - Mavrikakis - Beyrouk - Tavernier - Keegan - Abdallah - Mavrikakis - Richez - Seethaler - Dalembert - O'Brien - Mattern - O'Callaghan - Tavernier - Dalembert - Lesbre - Mavrikakis - Davrichewy - Kurniawan - Seethaler - Lesbre - Recondo - Lahens - Richez - Mavrikakis - Davrichewy - O'Brien - Lesbre - Davrichewy - Mavrikakis - Montazami - Dupont-Monod - Jepsen - Borel - Yared - Mavrikakis - Gander - Lesbre - Mattern - O'Faolain - Yared